La fin du libre-échange a-t-elle sonné ?

La fin du libre-échange a-t-elle sonné ?

Avec la mondialisation de l’économie des années 1990/2000, les États ayant privilégié la demande extérieure au détriment de la demande intérieure ont été les grands gagnants. L’Allemagne, la Chine, la Corée du Sud et plusieurs autres pays asiatiques figurent parmi ceux-ci. Les excédents commerciaux de ces pays ont alimenté leur croissance et ont permis de financer les investissements. La progression du commerce international, initiée avec l’ouverture de la Chine au monde et à la fin de la guerre froide, semble être arrivée à son terme. Le retour des thèses protectionnistes pourrait limiter la croissance des pays qui ont joué la carte de l’exportation. La fin du libre-échange a-t-elle sonné ? 

Le commerce international, le principal moteur de la croissance de l’économie mondiale dans les années 1990 et 2000 

De 1998 à 2014, les exportations en Chine ont progressé de dix à vingt points de plus que la demande intérieure. En Allemagne, dans des proportions plus raisonnables, le constat est le même. La demande extérieure progressait autour de 5 % en rythme annuel, contre 2 % pour la demande intérieure. Ce choix a permis à ces pays de détenir des parts de marché importantes en particulier pour les biens industriels. Leurs excédents commerciaux ont nourri leur croissance. 

La fin de l’hyper-croissance du commerce international avec la crise des subprimes : le commerce international qui avait tendance à augmenter deux fois plus rapidement que le PIB dans les années 1990 et 2000 a connu un premier ralentissement après la crise financière. Avec l’arrivée de Donald Trump à la présidence des États-Unis et depuis la pandémie, les mesures protectionnistes se multiplient. Les États-Unis ont restreint l’accès de leur marché aux produits en provenance de Chine.

37 dispositions réduisant l’accès au marché américain en moins de de trois ans

Concernant ce pays, la Commission Européenne a recensé l’adoption de 37 dispositions réduisant l’accès au marché intérieur en moins de de trois ans. Le commerce mondial croît désormais au même rythme que le PIB, voire légèrement moins vite. Jamais depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les États ont pris autant de dispositions visant à limiter directement ou indirectement l’accès à leurs marchés. 

La protection de l’environnement est une nouvelle source de protectionnisme. Les États-Unis ont ainsi décidé d’accorder un crédit d’impôt pour l’achat de voitures électriques qu’aux seules voitures fabriquées aux États-Unis. L’instauration d’une taxe carbone aux frontières européennes empêchera l’accès de produits en provenance de pays émergents ou en développement. Au nom de la lutte contre le réchauffement climatique, l’économie circulaire et la priorité aux circuits courts sont valorisées. 

Le double choc de la pandémie et de la guerre en Ukraine 

La pandémie a donné lieu à l’adoption de mesures de nature protectionniste. La Chine a ainsi empêché l’importation de vaccins étrangers contre la Covid en Chine. L’Europe a limité l’exportation de certains produits sanitaires. Cette épidémie a souligné la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement et de la production en flux tendus. Les entreprises souhaitent être moins dépendantes de fournisseurs situés à l’étranger. Les États ont également décidé de financer directement certaines filières de production au nom de l’indépendance stratégique. Les États-Unis comme l’Union européenne ont ainsi investi dans la réalisation d’usines de microprocesseurs. Ils ont fait de même pour la fabrication de batteries électriques ou de certains médicaments. La guerre en Ukraine conduit les États européens à réfléchir sur une plus grande indépendance énergétique.

La lutte contre les émissions des gaz à effet de serre, un nouveau protectionnisme ? 

Avec la multiplication des mesures protectionnistes, le commerce mondial tend, à se régionaliser. Les échanges augmentent entre les États membres d’un même espace, le continent américain, l’Europe, l’Asie. Le commerce intracontinental progresse plus vite que le commerce international. Ce retournement de tendance menace la croissance mondiale et tout particulièrement celle des pays émergents. Ces derniers, en vendant leurs produits aux pays avancés, bénéficiaient de recettes d’exportations en devises fortes. Le ralentissement du commerce international au long cours réduira leurs recettes. Ils seront contraints de vendre moins chers leurs produits sur le marché domestique ou sur les marchés voisins car le pouvoir d’achat de leur clientèle sera plus faible. Faute de recettes d’exportations, ils seront également obligés de limiter leurs importations des produits riches. 

Cette attrition du commerce international aboutit à un ralentissement de la diffusion du progrès technique. Elle a par ailleurs comme conséquence l’accroissement des inégalités au sein des populations. Le commerce international a été certainement un des leviers les plus efficaces dans leur réduction ces trente dernières années.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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