L’économie mondialisée face à l’inflation, une première

L’économie mondialisée face à l’inflation, une première

Dans les années 1970 et 1980, l’inflation s’était imposée dans un très grand nombre de pays en lien avec les deux chocs pétroliers et l’instauration de mécanisme d’indexation durant les Trente Glorieuses. La lutte contre la hausse des prix a été menée notamment à la fin des années 1970 par la FED de Paul Volcker. Ce dernier porta les taux directeurs de la Réserve fédérale de 11 % en 1979 à 20 % en juin 1981. Il décida, en retenant les idées économiques de Milton Friedman, d’annoncer les taux de progression de la masse monétaire afin de casser les anticipations. L’inflation américaine qui était de 13,5 % en 1981 revint à 3,2 % en 1983 au prix d’une sévère récession. Les différents pays suivirent les États-Unis. Si aujourd’hui les banques centrales reprennent les grandes lignes de cette politique monétaire, le contexte est profondément différent. L’économie mondialisée et les mouvements de capitaux se sont démultipliés. 

Une onde de choc mondiale

La hausse des taux directeurs est une vague qui s’est formée dès le milieu de l’année 2021 et qui gagne, mois après mois, en force. Au cours du printemps de l’année dernière, des banques centrales d’Amérique latine et d’Europe centrale ont commencé à relever les taux d’intérêt pour éviter la dépréciation de leurs monnaies et pour contenir l’inflation. À la fin de l’année 2021, la Norvège et la Corée du Sud, se sont joints au mouvement. En 2022, presque toutes les grandes économies ont suivi, à l’exception du Japon. Depuis les années 1980, jamais un mouvement d’ensemble ne s’était produit. 

Avec l’accélération du resserrement monétaire, un nombre croissant d’économistes souligne que les prises de positions rapides et synchrones des banques centrales étaient susceptibles de conduire à une récession mondiale. Maurice Obstfeld, ancien économiste en chef du FMI, a déclaré que l’incapacité des banques centrales à tenir compte des effets mondiaux de leurs politiques expose l’économie mondiale au risque d’un ralentissement « historique ». 

En l’état, les effets combinés des hausses sont difficilement appréciables. L’inflation est au départ un problème monétaire. Elle se nourrit de l’abondance des liquidités. Or, depuis 2007, les banques centrales ont accru, sans précédent, leur bilan et de ce fait la masse monétaire en circulation. Jusqu’à 2021, les liquidités émises étaient en grande partie stérilisées dans des actifs comme l’immobilier ou les actions. Depuis la crise sanitaire, avec les plans de relance, les liquidités sont de retour dans les circuits productifs qui ont été désorganisés par les confinements et depuis peu par la guerre en Ukraine. 

En augmentant les taux, les banques centrales ont décidé de ralentir la croissance en réduisant la demande, mais dans une économie mondialisée, celle-ci est mondiale. Quand une banque centrale augmente ses taux directeurs, cela affecte également la demande adressée aux autres pays. Si ces interactions ne sont pas prises en compte, l’économie mondiale ralentira bien plus que ce que les banques centrales avaient individuellement imaginé.

Un resserrement non coordonné peut engendrer une guerre des devises 

L’interdépendance se manifeste également au niveau des capitaux. Une hausse des taux dans un pays attire les capitaux étrangers et renforce la valeur de sa devise comme cela est constaté actuellement pour le dollar. Le pays bénéficie d’une réduction des coûts d’importation, ce qui facilite sa lutte contre l’inflation. 

La zone euro se trouve dans une situation inverse avec une devise qui se déprécie. Un resserrement politique non coordonné peut engendrer une guerre des devises, dans laquelle chaque pays s’efforce de déplacer le fardeau de l’inflation chez l’autre, la conséquence pouvant être une montée aux extrêmes des taux. 

La hausse des taux d’intérêt peut déstabiliser le marché des changes et avoir de lourdes conséquences pour les pays émergents. L’économie est devenue beaucoup plus intégrée financièrement qu’en 1971, lorsque John Connally, alors secrétaire au Trésor américain, avait déclaré aux représentants des États étrangers que « le dollar est notre monnaie, mais c’est votre problème ». Un dollar cher et des taux en augmentation peuvent provoquer des défauts de paiement et des problèmes d’importation pour des pays émergents et en développement. 

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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