Les cryptoactifs à la conquête du monde ?

Les  cryptoactifs  à  la  conquête  du  monde ?

Les  cryptomonnaies  ou  plutôt  les  cryptoactifs  pour  reprendre  le  terme  de  la  Banque Centrale  Européenne  sont  des  actifs  virtuels  stockés  sur  un  support  électronique permettant  à  une  communauté  d’utilisateurs  l’acceptant  en  paiement  de  réaliser  des transactions  sans  avoir  à  recourir  à  la  monnaie  légale.

Messi payé en token du PSG ?  

Le  plus  connu  des  cryptoactifs  est le  Bitcoin  représentant  50  %  de  l’encours  de  cette catégorie  d’actifs.  En  2019,  6  000 cryptoactifs  étaient  répertoriées.  Ce  nombre dépassait  à  la  mi  2021  les  11  150.  Leur capitalisation  boursière  est  passée  en  deux  ans  de  330  milliards  de  dollars  à 1  600  milliards  de  dollars,  soit  l’équivalent  du  PIB  du  Canada.  Plus  de  100  millions  de personnes  détiendraient  des  cryptoactifs  en  2021,  soit  trois  fois  plus  qu’en  2018.  Des clubs  de  football  ont  créé  des  cryptoactifs  ;  celui  du  PSG  a  gagné  43  %  avec  l’annonce de  la  venue  de  Lionel  Messi.  Il  a  été  indiqué qu’une  partie  de  sa  rémunération  sera acquittée  en  Token  du  PSG.   

Les  cryptoactifs  ne  sont  pas  des  monnaies  car  ils  ne  remplissent  pas  ou  que  très partiellement  les  trois  fonctions  dévolues  à  ces  dernières.  Leur  forte  fluctuation  ne  leur permet  pas  d’en  faire  des  unités  de  compte.  Leur  forte  volatilité  rend  complexe  la réalisation  des  échanges.  Ils  induisent  des  frais  de  transactions  importants  pour  de simples  opérations  de  détail.  Leur  absence  de  valeur  intrinsèque  ne  permet  pas  non  plus d’en  faire  des  réserves  de  valeur,  inspirant  confiance.  Les  cryptoactifs  ne s’appuient  sur aucun  sous-jacent  réel.  Leur  émission  repose  sur  un  algorithme  informatique,  sans considération  des  besoins  de  l’économie  et  de  ses  échanges,  ce  qui ne  permet  pas  de leur  attacher  une  valeur  intrinsèque.  

Au  plan  juridique,  les  cryptoactifs  ne  sont  pas reconnus  comme  monnaie  ayant  cours  légal,  ni  comme  moyen  de  paiement  Selon l’article  L111-1  du  Code  monétaire  et  financier,  la  monnaie  de  la  France  est  l’Euro  qui  est donc  la  seule  monnaie  ayant  cours  légal  en  France.  Ils  n’offrent  aucune  garantie  de remboursement  en  cas  de fraude.  Ils  ne  sont  pas  émis  contre  remise  de  fonds.  De  ce  fait, et  contrairement  à la  monnaie  électronique,  les  cryptoactifs  ne  sont  pas  assortis,  dans l’Union  européenne,  d’une  garantie  légale  de  remboursement  à  tout  moment  et  à  la valeur  nominale  en  cas  de  paiement  non  autorisé.  Ils  ne  sont  donc  pas  considérés comme  des  moyens  de  paiement  par  la  Banque  de  France.

Les  acteurs  institutionnels responsables  de  63 %  des  échanges  

Malgré  tout  depuis  la  crise financière,  le  marché  des  cryptoactifs  est  en  plein  essor.  Il  tend  à  accueillir  un  nombre croissant  de  professionnels.  En  2020,  les  acteurs institutionnels  (banques,  assureurs, fonds)  étaient  responsables  de  63  %  des  échanges, contre  10  %  en  2017.  Si  l’essor  des cryptoactifs  est  indéniable,  leur  marché  demeure  très  volatil.  Le  bitcoin  est  ainsi  passé de  64 000 dollars en avril  à  29  000  dollars  fin  juillet  pour  remonter au  début  du  mois  d’août autour  de  45  000  dollars. 

Avec  leur  diffusion  croissante,  de  plus  en  plus  d’experts estiment  que  le  marché  ne  peut  plus  s’effondrer  durablement.  Les  robots  algorithmiques ont  été  programmés  afin  de  passer  des  ordres  d’achat  automatiques  quand  le  bitcoin passe  en  dessous  de  certains  seuils.  Néanmoins,  ce  marché  est  soumis  à  de  nombreux aléas.  Plusieurs risques  demeurent.  Une  défaillance  technique,  un  piratage  ou  une intervention  des régulateurs  pouvant  aller  jusqu’à  l’interdiction  ou  l’émission  de cryptomonnaies  officielles,  pourraient  mettre  un  terme  à  l’envolée  des  cours.  Une remontée  des  taux  d’intérêt  pourrait  également  réduire  l’attractivité  des  actifs numériques.   Sur  le  marché  des  cryptos,  trois  catégories  d’investisseurs  cohabitent  : 1. les  «fondamentalistes »  qui  parient  sur  la  chute  des  devises  et  l’avènement  du bitcoin  comme  monnaie  internationale  en  raison  du  surendettement  des  États; 2. les  «tacticiens»  qui  estiment  que  sa  valeur  augmentera  avec  son  adoption  par un  nombre  croissant  d’épargnants; 3.  les  «spéculateurs»  qui  veulent  gagner  rapidement  de  l’argent.   

Les  spéculateurs  sont  de  passage  sur  le  marché  des  cryptos  quand  les  tacticiens  sont sensibles  aux  évolutions  de  leur  cours.  Les  fondamentalistes  sont  peu  nombreux  mais plus  fidèles.  En  cas  de  krach  sur  les  cryptoactifs,  de  nombreux  acteurs  seraient concernés.  Des  associations,  des  fondations,  des  entreprises  ont  placé  une  partie  de leurs  liquidités  en  cryptomonnaies  ces  derniers  mois.  Les  sociétés  qui  se  sont spécialisées  dans  leur  gestion  seraient  également  menacées.  La  capitalisation  des sociétés  cotées  de  cryptographie  est  évaluée  à  90  milliards  de  dollars.  Les  sociétés  de paiement  comme  PayPal,  Revolut  et  Visa  perdraient  une  partie  de  leurs  activités  en croissance.

En cas de krach  

Des  acteurs  de  l’électronique  et  de  l’informatique  comme  Nvidia,  un  fabricant de microprocesseurs,  seraient  touchés  du  fait  de  leurs  ventes  aux  «  mineurs  »  de cryptoactifs.  Compte  tenu  de  leur  essor,  les  marchés  «  actions  »,  avant  tout  aux  États-Unis,  pourraient  être  impactés  par  ricochet  en  cas  de  krach.  Des  banques  ont prêté  des dollars  à  des  investisseurs  qui  ont  ensuite  acheté  des  bitcoins.  Certains  ont  prêté  des dollars  contre  des  garanties  cryptographiques.  Dans  les  deux  cas,  les  emprunteurs proches  du  défaut  pourraient  chercher  à  liquider  d’autres  actifs  en  cas  de  chute  brutale et  durable.  

Le  marché  des  dérivés  en  cryptoactifs  est  passé  de  1,6  à  plus  de  24  milliards de  dollars  de  mars  2020  à  juin  2021.  Lors  de  la  chute  de  33 %  du  cours  du  bitcoin  le  18 mai  dernier,  les  liquidations  forcées  de  position  ont  atteint  près  de  10  milliards  de  dollars.   Étant  donné  que  le  changement  de  dollars  contre  des  bitcoins  est  lent  et  coûteux,  les traders  souhaitant  réaliser  des  gains  et  réinvestir  les  produits  effectuent  souvent  des transactions  en  Stables  Coins,  comme  le  Tether,  indexés  sur  le  dollar  ou  l’euro.  L’encours de  ces  Stables  Coins  dépasse  les  100  milliards  de  dollars.  Pour  garantir  l’indexation,  les émetteurs  de  Stable  Coins  acquièrent  des  actifs  (prêts,  obligations,  parts  de  fonds).  En cas  de  «  cryptocrash  »,  les  émetteurs  pourraient  être contraints  de  se  délester  de  leurs actifs. 

En  juillet,  l’agence  de  notation  Fitch  a  souligné  que  les  cryptoactifs  en  cas  de  crise pourraient  «  affecter  la  stabilité  des  marchés  du  crédit  à  court  terme  ».  Aux  États-Unis, les  responsables  de  la  Securities  and  Exchange  Commission  et  de  la  Réserve  fédérale accordent  une  plus  grande  attention  aux  risques  liés  aux  crypto-monnaies,  et aux  Stables Coins.  Pour  éviter  un  effet  de  contagion,  le  club  de  Bâle  des  superviseurs  a  récemment proposé  que  les  banques  financent  leurs  avoirs  en  bitcoins  avec  uniquement  du  capital, pas  de  la  dette.

Plus  les  bitcoins  se  diffusent,  plus  la nécessité  d’une  régulation  s’imposera    

La  crainte  des  régulateurs  est  une  sortie  brutale  des  acteurs institutionnels  et notamment  des  hedge  funds  des  cryptoactifs.  Un  précédent  a  marqué les  esprits.  La chute  de  l’indice  boursier  américain  S&P  500,  de  2,5 %  en  une  journée après  l’engouement  d’actionnaires  individuels  pour  GameStop,  une  entreprise spécialisée  dans les  jeux  vidéo  qui  a  pris  à  contre-pied  quelques  hedge  funds.

Pour  le  moment,  les  acteurs  institutionnels  n’envisagent  pas  de  krach.  Goldman  Sachs prévoit  de  lancer  un  fonds  crypto  en  bourse,  Visa  propose  désormais  une  carte  de  débit qui  paie  les  récompenses  des  clients  en  bitcoins.  Plus  les  bitcoins  se  diffusent, plus  la nécessité  d’une  régulation  s’imposera  afin  d’éviter  une  déstabilisation  de  la  sphère financière.  Les  banques  centrales  sont  en  train  de  tester  l’émission  de monnaies  digitales qui  pourraient  concurrencer  les  cryptoactifs.  La  circulation  parallèle de  devises accessibles  à  un  grand  nombre  d’acteurs  pourrait  devenir  la  règle  dans  les  prochaines années.  

Jusqu’à  maintenant,  au  sein  des  pays  avancés,  la  devise  nationale  –  ou plurinationale  pour  l’euro  –  était  la  seule  à  avoir  cours  légal.  La  possibilité  de  payer  en bitcoins,  en  monnaie  digitale  de  banque  centrale,  etc.,  changerait  bien  des  repères  avec des  risques  de  transferts  spéculatifs  à  la  clef.  Aujourd’hui,  il  n’est  pas  interdit  de  détenir des  dollars  ou  du  yen  mais  les  coûts  de  change  sont  dissuasifs.  Si  demain,  il  est  possible de  demander  la  conversion  de  son  salaire  payé  en  euros  en  bitcoins  puis  de  payer  avec ce  dernier  sa  baguette,  sans  avoir  de  commissions  à  acquitter,  la  situation  sera  tout  autre.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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