Les dépenses militaires, moteurs de la productivité ?

Les dépenses militaires, moteurs de la productivité ?

Le radar, la propulsion des avions à réaction, la conquête de l’espace? ont été enfantés par la Seconde Guerre mondiale. Internet est le produit de la guerre froide et de la multiplication des ogives nucléaires, les militaires américains souhaitant disposer d’un réseau de communication décentralisé capable de résister à une attaque russe. Les dépenses militaires peuvent donc être génératrices de gains de productivité pour l’ensemble de l’économie, en raison de leurs effets induits sur l’innovation. Elles expliqueraient en partie l’écart de croissance entre les États-Unis et l’Europe. 

Le complexe militaro-économique des États-Unis, un système gagnant/gagnant ? 

Les États-Unis ont développé depuis la Seconde Guerre mondiale un puissant secteur militaire dont les innovations sont rapidement exploitées par le secteur civil du fait d’une forte intégration des entreprises privées aux programmes d’armement. Plusieurs agences catalysent cette recherche aux États-Unis dont la « Defense Advanced Research Projects Agency » (DARPA – Agence pour les projets de recherche avancée de défense). Cette dernière, créée en 1958, est rattachée au département de la Défense des États-Unis et est chargée de la recherche et développement des nouvelles technologies destinées à un usage militaire. Sa naissance est intervenue après le lancement du satellite soviétique Spoutnik en 1957 qui a été considéré comme un affront pour les autorités américaines. 

La DARPA a été à l’origine du développement de nombreuses technologies notamment l’ARPANET, devenue Internet avec le « oN-Line System » (système en ligne) qui a permis l’essor des liens hypertextes et qui est à l’origine des interfaces graphiques. L’agence est également à la base du processus de géolocalisation par satellites (GPS). 

Drone chien opérationnel financé par la DARPA

En 1958, les activités en lien avec l’espace furent transférées à la NASA. En 1960, celles liées au renseignement satellitaire furent placées sous l’autorité du National Reconnaissance Office (NRO). La DARPA conserva néanmoins un rôle majeur dans la coordination des différentes recherches. Dans les années 1970, l’agence consacra une part importante de son budget aux projets d’avions furtifs (projet Tacit Blue) à l’origine de l’avion de chasse Lockheed Martin F-117. La DARPA fut impliquée dans le développement des commandes de vol électriques maintenant utilisées par les avions civils ainsi que dans le recours de matériaux composite. Elle commença à travailler sur les drones dès la fin des années 1960. Elle est actuellement engagée dans la réalisation de projets de missiles hypersoniques afin de combler le retard pris par les États-Unis sur la Russie ou la Chine. 

Si ces dernières années, les découvertes de la DARPA sont de moindre ampleur que dans le passé, les liens avec le privé sont, en revanche, de plus en plus importants. L’agence s’est par ailleurs spécialisée dans la recherche médicale. 

Les dépenses militaires ont-elles un rôle important pour la Recherche & Développement ? Au sein de l’OCDE, aucune corrélation n’apparaît clairement. La Suède, l’Allemagne ou la Finlande consacrent plus de 2,5 % du PIB à la R&D tout en ayant des dépenses militaires inférieures à 1,7 % du PIB (moyenne 2002/2022). A contrario, la France a, sur la même période, un budget militaire qui avoisine les 2 % du PIB, tout en ayant des dépenses de R&D inférieures à 2,2 % du PIB. Le Royaume-Uni? tout en étant le pays européen qui réalise l’effort le plus important pour la défense (2,4 % du PIB en 2020), se caractérise par des dépenses de R&D faibles (1,8 % du PIB). Les États-Unis ont tout à la fois par un niveau élevé de dépenses militaires (3,8 % du PIB) et un niveau important de R&D (2,8 % du PIB). 

Quand la dépense militaire dope la productivité ! 

Sur une longue période, une corrélation positive se dessine entre dépenses militaires et productivité par tête. De 2002 à 2022, la productivité par tête des États-Unis a progressé de 45 %, contre 15 % pour le Royaume-Uni et 12 % pour la France. Seules la Suède et la Nouvelle-Zélande ont enregistré des gains de productivité importants (respectivement +30 % et 22 %) avec un effort militaire faible. La Corée du Sud qui a un budget militaire de grande ampleur ne dégage pas des gains de productivité supérieurs à la moyenne de l’OCDE. 

En revanche, la Chine, le Vietnam et l’Indonésie se caractérisent par des gains de productivité importants et un effort militaire qui l’est également. Les dépenses militaires n’expliquent pas à elles seules les résultats en termes de productivité mais leur importance peut influer sur la structure économique des États. 

La force du secteur industrialo-militaire aux États-Unis qui bénéficie d’importantes subventions contribue sans nul doute à l’essor des hautes technologies dans ce pays. L’existence d’une forte concurrence entre les entreprises joue également un rôle non négligeable. En Europe, le marché de la défense demeure segmenté malgré les récentes avancées en ce qui concerne le futur avion de chasse. La faible taille de l’industrie de défense ne permet pas de générer des synergies comme aux États-Unis ou en Chine.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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