Les États-Unis, l’inflation et les taux d’intérêt

Les États-Unis, l’inflation et les taux d’intérêt

Depuis le mois de février, la Réserve Fédérale américaine insiste sur la nécessité de juguler l’inflation. Pour autant, est-ce réellement son objectif ? Les déclarations de ses responsables semblent indiquer dans les faits une certaine mansuétude face à la hausse des prix. Les décisions sont loin de celles prises durant les décennies précédentes. En prévoyant un train de six à sept hausses, la ligne de Réserve Fédérale semble être dure. Elle détonne avec la pratique en cours depuis 2008.

Les annonces de Jerome Powell, le Président de la FED, ont provoqué une hausse visible des taux d’intérêt. Le taux d’intérêt sur les obligations d’État à 2 ans est passé de 0,3 à plus de 2 % et celui des obligations à 10 ans de 1,7 à 2,6 % de janvier à avril 2022. Si ces augmentations constituent des ruptures par rapport à la situation des années précédentes, elles demeurent nettement inférieures à la hausse des prix. Le taux d’inflation était de près de 8 % aux États-Unis à la fin du premier trimestre.

Un débat au sein du Conseil de politique monétaire pour accélérer la hausse des taux

Dans les années 1980, face à la montée des prix provoquée par le deuxième choc pétrolier, la FED avait augmenté ses taux au-delà de 15 %. En 2008, quand le baril de pétrole Brent avait atteint 140 dollars, la Banque centrale américaine avait porté ses taux à plus de 5 % afin de bloquer la reprise de l’inflation. La hausse de ses taux directeurs lui fut reprochée avec la survenue de la crise des subprimes. Compte tenu de la hausse de l’inflation en cours, en retenant les pratiques antérieures, les taux directeurs devraient atteindre près de 9%. Selon la prévision de la FED, les taux directeurs seraient portés entre 1,75 % et 2 % d’ici la fin de l’année. À l’horizon de la fin 2023, le taux directeur est désormais attendu à 2,8 %.

Au sein du Conseil de politique monétaire, un débat existe pour accélérer la hausse des taux. Ainsi, la gouverneure de la FED, Lael Brainard, a déclaré le 5 avril 2022 que la « tâche la plus importante est de s’employer à lutter contre l’inflation », ajoutant que la banque centrale devra également s’atteler à la réduction de la taille de son bilan dès le mois de mai, et à un « rythme rapide », afin de ramener sa politique vers « une position plus neutre » dans le courant de l’année. Elle s’est prononcée en faveur d’un relèvement d’un demi-point du taux des fonds fédéraux le mois prochain. Si le débat sur un relèvement plus rapide existe, nul n’imagine qu’il puisse amener les taux à 5 ou 6%. Les investisseurs n’anticipent pas une augmentation forte des taux dans les prochains mois. Certes, ils ont ajusté leur schéma, le taux à 10 ans de l’obligation d’État américaine étant passé de 1,6 à 2,6 % du 7 mars au 7 avril 2022.

Jerome Powell – photo de la Réserve fédérale américaine

La persistance de taux réels négatifs

Si la réaction des banques centrales et en particulier celle de la FED est différente en 2022 de ce qu’elle était dans les années 1980, elle s’explique par une sensibilité accrue des économies aux taux d’intérêt. L’expérience de la crise de 2008/2009 demeure prégnante. Une hausse de taux déclenche des effets dominos parfois incontrôlables.

Le niveau d’endettement élevé des agents économiques empêche les banques centrales de se focaliser exclusivement sur le taux d’inflation. Ce dernier devrait rester élevé de nombreux mois avec en parallèle la persistance de taux réels négatifs. Pour les emprunts d’État à 10 ans, le taux d’intérêt réel aux États-Unis était de -6 % fin mars 2002, contre 0 % fin 2019. Même si la remontée des taux reste limitée, elle pourrait peser sur l’activité économique dans les prochains mois avec en particulier un recul de l’investissement résidentiel.

Au cours du premier trimestre 2022, 1,8 million de mises en chantier étaient enregistrées en rythme annuel. Une baisse de 10 à 15 % est attendue d’ici la fin de l’année. Étant donné que l’inflation est en grande partie générée par les produits importés, matières premières, énergie, produits agricoles, la hausse des taux directeurs aura un effet limité sur celle-ci. La valeur des actions et de l’immobilier pourrait rester élevée en jouant un rôle de paratonnerre contre l’inflation et les rendements réels obligataires négatifs.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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