Perdre le Donbass et sauver l’Ukraine

Perdre le Donbass et sauver l’Ukraine

Poutine a reconnu les Républiques séparatistes du Donbass et de Lougansk. Il a pris, en fait, ce qu’il avait déjà. Ceux qui voient en Poutine un stratège et déplorent la « gifle «  reçue par les Occidentaux, les prend pour des maîtres du monde ou ne se fient qu’aux apparences.

Un accord tacite 

Tout se passe comme si, en réalité, les Occidentaux avaient laissé Poutine reconnaitre ces Républiques sous perfusion russe depuis 2014 afin d’éviter une guerre stupide. Un des éléments qui laisse penser qu’il existe un accord tacite préalable, non dit, est la faiblesse des réactions américaines : interdire tout investissement et commerce américain avec ces deux entités. On aimerait savoir quel était le montant des investissements américains depuis sept ans, et même depuis un siècle… Quant aux sanctions européennes, elles doivent être suffisantes pour montrer à l’opinion que l’on réagit, mais pas trop fortes pour ne pas se sanctionner soi-même.

Personne ne tient à mourir pour la Donbass, pas même les Ukrainiens. 

Alors, dira-t-on : Poutine a gagné. Qu’est ce qu’il a gagné ? Sa grande stratégie serait de reconstituer un périmètre de sécurité qui tend à rejoindre les frontières de l’ancienne URSS. Avec la Crimée et le Donbass, il grignote. A ce rythme, rien à craindre, il lui faudrait quelques millénaires. Il a surtout perdu totalement le reste de l’Ukraine, qui, il y a peu, était gouvernée par ses amis et ses copains oligarques. Il récupère des régions qu’il contrôlait déjà, des fiefs pro russes peuplés par des Russes, des provinces pauvres, qui coûtent, comme la Crimée, et n’ont d’intérêt stratégique pour personne. C’est pourquoi personne ne tient à mourir pour la Donbass, pas même les Ukrainiens.

Ukrainian service members are seen on the front line near the city of Novoluhanske in the Donetsk region, Ukraine February 20, 2022. REUTERS/Gleb Garanich

Certains regrettent l’absence d’une « Europe puissance », appuyé par des chars. C’est une vue de l’esprit. Même avec la puissance de feu américaine, l’Europe unie n’aurait rien fait, comme les Américains. Risquer une guerre pour le Donbass ? Même pour l’Ukraine ? On n’est plus au 18ème siècle. Il faut être géostratégiquement arriéré pour voir au Donbass un gain de « puissance ».

Biden n’a aucune raison d’être mécontent 

Géopolitiquement, Poutine a réussi à redonner vie à l’OTAN, hier en « mort cérébrale», dont plus personne aujourd’hui ne conteste l’utilité. Les Etats-Unis peuvent lui dire merci, et, malgré les apparences, Biden n’a aucune raison d’être mécontent. C’est pourquoi il a agité la menace russe « hystériquement », et ressoude ses alliés autour de lui. Désormais, la Suède et la Finlande se demandent s’ils ne vont pas adhérer à l’Otan et l’Ukraine va s’armer, s’armer encore, avec le soutien américain et européen. Quant à la Géorgie, qui a déjà été amputée de deux provinces rebelles, comme l’Ukraine, -ce qui ne dérange personne-, elle est chauffée à blanc contre les Russes. 

L’Europe a-t-elle été bafouée, humiliée, ridiculisée ? Pour le croire, il faut oublier la géographie et l’histoire, et croire que l’Europe aurait eu envie, plus encore que les Etats-Unis, de mourir pour le Donbass. Avant-hier, l’empire soviétique tenait Prague, Berlin, Varsovie et Budapest. Hier encore la Russie comptait en Serbie et contrôlait l’Ukraine. Aujourd’hui, les Balkans et l’Ukraine se veulent européens. Demain, si l’Ukraine suit la trajectoire économique de la Pologne avec l’aide de l’Union européenne, beaucoup de Russes regretteront de ne pas être ukrainiens… L’Europe s’étend, l’influence russe diminue.

Elle ne peut que diminuer puisque son économie sera de plus en plus celle d’un Etat gazier, pétrolier, caractéristique des pays en voie de développement. Privée de liens fiables et forts avec l’Europe, son partenaire naturel, la Russie est devenue redevable géopolitiquement à la Chine, et le sera peut-être économiquement. C’est une mauvaise nouvelle pour les Européens, mais c’est surtout une mauvaise nouvelle pour les Russes. Un beau gâchis, qui ne date pas d’hier.

La liste des traités et engagements internationaux foulés aux pieds est impressionnante  

Enfin, le plus important dans cette histoire de reconnaissance des républiques pro russes, est évidemment le coup porté au droit international. Poutine a non seulement manqué à sa parole, mais il a aussi renié sa signature, et celles de ses prédécesseurs, y compris ceux de l’URSS. La liste des traités et engagements internationaux foulés au pieds est impressionnante : Charte des Nations-Unies, Acte final d’Helsinki, Statuts de l’Osce, adhésion au Conseil de l’Europe, Acte constitutif de la Communauté des Etats indépendants (1991), qui installèrent les relations entre les Etats issus de l’ex-Urss, Mémorandum de Budapest (1994), qui définissait les relations entre la nouvelle Russie et la nouvelle Ukraine, avec une reconnaissance mutuelle des frontières, Accord d’amitié Russie-Ukraine de 1997, enfin les accords de Minsk de 2015, sans parler des Constitutions de l’Ukraine et de la Crimée. Difficile ensuite, pour les voisins de la Russie, de penser que la signature d’un traité avec elle sera respectée. La Russie a pris l’habitude de se comporter en Etat voyou, avec des assassinats politiques, des cyberattaques, du racket d’entreprises par pirates interposés, des achats d’influences, des manipulations dans les élections des pays étrangers, et le viol manifeste de ses engagements internationaux.

L’Ukraine rejoint l’Occident, le Donbass la Russie. Qui y gagne ?

Difficile de considérer qu’en se comportant de la sorte la Russie gagne quoi que ce soit, sur le long terme. C’est malheureux pour elle, mais aussi pour l’Europe, qui aurait au contraire besoin d’une relation apaisée, une relation de confiance avec son voisin le plus important. Confiance ? On en est loin. Les gagnants du moment dans cette histoire, ce sont les Américains et les Chinois.

A plus long terme, ce sont peut-être, malgré les apparences, les Ukrainiens : avec le sacrifice des deux provinces rebelles, qui suit celui de la Crimée, ils évitent la guerre, sans doute définitivement (dans six mois ils seront armés), ils sont enfin indépendants. La pression russe, longtemps intérieure, est limitée. C’est pourquoi il est vraisemblable, malgré les cris et les protestations, que la décision de Poutine soit le résultat d’un accord tacite : L’Ukraine rejoint l’Occident, le Donbass la Russie. Qui y gagne ? 

Auteur/Autrice

  • Alain Stéphane a posé ses valises en Allemagne à la suite d'un coup de foudre. Aujourd'hui, il travaille comme rédacteur dans un journal local en Saxe et est correspond du site Lesfrancais.press

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