A la découverte des Savoyards du Monde à travers un livre somme 

A la découverte des Savoyards du Monde à travers un livre somme 

Il y a 90 ans, l’Union mondiale des associations d’originaires de Savoie était créée à Aix-les-Bains par le Sénateur Antoine Borrel. Pour célébrer cet anniversaire, l’association, quasi-centenaire, fait paraître un livre qui nous conte les péripéties des Savoyards aux 4 coins du globe. Une publication qui s’inscrit dans un été bien chargé pour nos montagnards, avec la remise des Trophées des Savoyards du Monde qui eut lieu le 05 août dernier en ouverture du rassemblement annuel dans la commune des Echelles en Savoie.

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Savoyards du Monde, une petite histoire

des associations de Savoyards

Une somme historique et géographique pour dessiner l’identité savoyarde à travers ses associations. Voilà le résumé succinct d’un livre qui comptera chez les Savoyards de France et de l’étranger. « Savoyards du Monde, une petite histoire des associations de Savoyards » vient de paraître sous la double direction de Michel A. Durand et Laurent Rigaud. 

Une identité savoyarde faite de solidarités multiples

Cette identité savoyarde rime d’abord avec solidarité pour une région historique faite de montagnes, de petites propriétés agricoles, d’élevages dans des milieux souvent âpres et de relative pauvreté qui oblige ces courageux montagnards à aller chercher ailleurs un avenir meilleur à partir du Moyen-Age puis plus massivement après la Révolution. Avec une unité construite pas à pas, une annexion à la France datant de 1860 seulement, la Savoie se caractérise géographiquement par ses hautes vallées comme la Maurienne, la Tarentaise ou Faucigny qui forment autant de sous-ensembles à l’identité forte et qui seront intégrés peu à peu à un plus vaste groupe de « petites républiques de Montagnes » devenant le socle du duché de Savoie. 

Une unité construite pas à pas

Un des grands personnages de l’unité savoyarde se nomme Charles-Emmanuel 1er qui, au 17ème siècle, est chanté comme « Roi des Alpes » par les poètes tant il réussit à renforcer les liens avec ses voisins européens grâce à  une politique de mariage habile et une diplomatie active de ce territoire devenu duché en 1416 sous l’impulsion d’Amédée VIII, autre personnage capital à mentionner. La Savoie connaît  une émigration importante aux 18 et 19ème siècles qui s’accompagne d’une structuration de sa communauté opérée d’abord dans la première destination d’installation qu’est alors Paris. 

rassemblement a Gresy-sur-Isere en 2021
Rassemblement à Grésy-sur-Isère en 2021

Une myriade d’associations qui se déploient en France et dans le monde

Qu’elles soient étudiantes, professionnelles, politiques, culturelles ou militaires, ces associations  parisiennes forment un tissu d’entraide très dense pour une communauté qui revendique à son plus fort près de 100 000 membres. Sociétés philanthropiques et mutuelles se multiplient, et essaiment dans toute la France à Bordeaux, Toulon, Rouen ou encore dans le Nord. Mais l’émigration couvre aussi le globe dans son entier. C’est d’ailleurs toute la saveur de ce livre d’embrasser l’émigration savoyarde dans sa dimension mondiale.

Le livre met ainsi en valeur des « émigrés d’exception » comme Marie Suize, une pionnière de la ruée vers l’or californienne et qui sera surnommée « Marie Pantalon » par les rudes orpailleurs à qui cette féministe avant l’heure réussit à tenir tête dans ce milieu du 19ème siècle qui voit la structuration économique de ce puissant Etat américain.

Une constellation mondiale d’associations de Savoyards 

La recension des associations de l’étranger commence par celle des « Allobroges de New-York » fondée en 1901 et qui fait référence à l’idéal révolutionnaire des Allobroges de 1792. Ces idées progressistes se traduisent dans le règlement d’une association agissant comme une caisse maladie qui protège et soutient les sociétaires empêchés de travailler. La présence savoyarde en Argentine est attestée quant à elle par « la société savoisienne de Secours Mutuels d’Argentine » qui est créée au moment où en 1850  affluent les Savoyards dans ce nouveau monde aux promesses de réussite. Le livre met ainsi en exergue la figure de Claude Martin, homme d’affaires, banquier et philanthrope de Chambéry qui oeuvrera des deux côtés de l’Atlantique pour soutenir les membres de sa communauté. La géographie de ces associations hors de France épouse les soubresauts de l’histoire, et Alger, Oran, la Côte d’Ivoire ou le Maroc connaîtront des implantations d’associations à la faveur de l’épisode colonial français.

Le livre permet de voyager et de se documenter avec de riches illustrations et un travail de valorisation des archives associatives qu’il faut saluer. 

les laureats des trophees 2022 et les partenaires
Les lauréats des trophées 2022 et les partenaires

Une identité savoyarde en construction permanente

A sa lecture on sent aussi le refus d’une vision identitaire fermée, la culture savoyarde, pleinement alpine, refuse en effet les pièges de la xénophobie ou du repli sur soi. A travers ces associations c’est une vision humaine et solidaire du rapport à l’autre qui s’impose loin de tout patriotisme de vallée. 

Ce livre est à recommander aux amateurs d’Histoire mais aussi à tous les humanistes qui y trouveront un témoignage fécond de ce que des femmes et des hommes unis peuvent initier librement en matière de secours et de solidarité. 

Nous avons pu interroger Laurent Rigaud, président de l’Association des Savoyards du Monde et également conseiller des Français de l’étranger pour la circonscription des Emirats Arabes Unis et du Sultanat d’Oman. Un Savoyard éminent à qui se livre doit beaucoup.

Savoyards du monde
Laurent Rigaud

Boris Faure : Une première question s’impose, pourquoi ce livre ?

Laurent Rigaud : Nous avons décidé d’écrire ce livre pour en faire un document de mémoire et de transmission. Nous avons noté au fil des ans et des disparitions des anciennes associations que peu de personnes connaissaient l’histoire et l’organisation des sociétés savoyardes dans le monde. Il y a peu d’écrits sur celles-ci et les sociétés savantes de Savoie ont peu d’informations sur leur existence. 

L’émigration savoyarde est un sujet qui me passionne depuis toujours. Avec Michel-André Durand, nous avons codirigé et coécrit ce livre avec la participation de présidents d’associations et de trois auteurs savoyards qui ont apporté leur contribution. Je me suis penché sur les associations historiques et disparues en France et à l’étranger et plus particulièrement celles de Paris qui sont les fondations de la diaspora sur des valeurs d’entraide et de solidarité à travers la philanthropie et la mutualité. 

Chaque famille savoyarde a au moins un ancêtre qui a émigré soit temporairement, soit définitivement. La rudeur de la vie en montagne avec des hivers qui n’en finissaient pas, les familles nombreuses et des exploitations agricoles de petite taille sur des terres escarpées ont encouragé nos compatriotes à partir. J’ai moi-même un ancêtre qui est parti à Saint Louis aux Etats-Unis où il a participé à la construction des égouts de la ville, mes arrière-grands-parents maternels ont longtemps tenu un restaurant en Algérie. 

Ce qui nous a touché le plus dans notre recherche c’est l’organisation de la communauté autour de l’entraide, la structuration de la communauté à Paris qui était certainement la plus grande ville savoyarde en dehors des pays de Savoie et la solidarité avec ceux restés au pays.

Boris Faure : Le livre offre une puissance réflexion historique sur le rôle d’associations de Savoyards comme porteuses d’une identité et de valeurs. À la source il y a les associations de Savoyards de Paris qui se sont développées avant l’annexion de la Savoie à la France en 1860. Pouvez-vous nous parler de cette « matrice » associative et de la manière dont elle a influencé les associations qui ont essaimé dans le monde ? 

Laurent Rigaud : L’émigration savoyarde en France notamment vers la Franche Comté, la Lorraine et dans le reste de l’Europe (Suisse , Allemagne et Autriche) est effective dès le 16e siècle, celle-ci est avant tout saisonnière. La communauté n’est pas organisée en associations mais est connectée par groupes d’originaires de villages.  Elle devient permanente vers le 19e siècle. Les premières sociétés philanthropiques et mutualistes de Paris ont définitivement été un exemple pour les différentes communautés de Savoyards en province d’abord avec la création des premières sociétés philanthropiques à Lyon, Rouen, Marseille puis des sociétés mutualistes dans les colonies au Maghreb, en Afrique et en Asie. Sans oublier l’Argentine où l’émigration est massive à partir de 1850 et les Etats-Unis à partir de 1900 notamment à New York.

C’est  après la Première Guerre mondiale que la colonie à Paris se structure avec de nouvelles organisations professionnelles, politiques, sportives et culturelles. Mais c’est Antoine Borrel, grand fédérateur de la communauté savoyarde de Paris, qui encourage les Savoyards expatriés en province et de par le monde à  créer de nouvelles associations sur le modèle parisien. En fondant le Foyer Savoyard à Paris, puis l’Union mondiale des originaires de Savoie, il passe à la vitesse supérieure en soutenant la création de nombreuses associations.

Je tiens tout d’abord à mentionner les premières personnes qui ont structuré la communauté à travers la Société philanthropique Savoisienne de Paris en 1833, ils ont définitivement monté la base de la structure associative des Savoyards de Paris. 

Boris Faure : La Savoie a ses grandes femmes et hommes. Antoine Borel, ex sénateur et député, a été une figure de proue pour développer notamment l’industrie touristique dans les années d’après guerre et pour fonder le réseau des Savoyards du Monde. Pouvez-vous nous dire un mot sur ce rôle et sur l’esprit de Borel qui demeure jusqu’à aujourd’hui ?

Laurent Rigaud : Avant de parler d’Antoine Borrel, on ne peut pas mentionner Marie-Louise Jay, petite bergère de Samoëns qui « monta » à Paris à 16 ans en 1850. Vendeuse au magasin de « La Nouvelle Héloïse”, elle y rencontre son futur mari, Ernest Cognacq. Quelques années plus tard, il ouvre un petit commerce prénommé “La Samaritaine“, les deux époux consacrent leur vie à leur magasin. Ils transforment cette petite boutique en un véritable empire. Marie-Louise n’oublie pas son village natal et sa communauté à Paris. Elle devient la plus grande donatrice et  philanthrope de la colonie savoyarde de Paris à travers la fondation Cognacq-Jay qui détient 50 % de la Samaritaine, l’autre moitié ayant été cédée aux employés qui touchent 65% des bénéfices de l’entreprise ! 

Antoine Borrel est le grand fédérateur des Savoyards expatriés. Il a su capitaliser sur le nombre important des associations à Paris et il a pu au-delà des querelles de clochers, les fédérer tout en développant un réseau couvrant l’amicalisme, la philanthropie, la mutualité et le réseau des affaires à travers le monde. Son engagement pour les Savoyards du Monde est certainement unique et ses qualités et son humanisme se résument dans un de ses derniers discours: « Ce que j’ai fait pour la Savoie est bien normal. Je suis heureux, croyez-le, d’avoir beaucoup travaillé pour mon pays et pour la Savoie en particulier (…) J’ai fait mon travail et j’ai pour moi la plus belle des récompenses, la satisfaction du travail accompli et l’affection de mes compatriotes que je considère tous comme mes enfants ». Aujourd’hui, nous continuons le travail engagé par Antoine Borrel dans un esprit toujours aussi rassembleur et fédérateur.  

Boris Faure : Comment voyez-vous l’avenir pour l’association des Savoyards du Monde et les associations régionales en général ? 

Laurent Rigaud : Ces dernières années, notre fédération a mis en place des initiatives pour continuer son développement plus précisément vers l’international où la communauté expatriée est importante avec plus de 30.000 compatriotes dans le monde. Les trophées dont nous célébrons la 4e édition cette année récompensent les talents de la diaspora et sont un vrai succès. La nomination de délégués dans une dizaine de pays nous permet d’identifier et de rassembler nos compatriotes et  mènera vers la création de nouvelles associations. Enfin, nous devons consolider nos associations en France dont certaines restent très actives et se préparent à fêter leur centenaire voire leur cent-cinquantenaire comme la Savoisienne Philanthropique de Lyon.

Je pense que les associations régionales ont un bel avenir, nos compatriotes sont très attachés à leur région d’origine, à leur histoire et à leurs liens familiaux. Au-delà des associations historiques comme la nôtre, les Alsaciens ou les Bretons, plusieurs régions ont récemment créé des associations pour rassembler leurs originaires qui sont toujours heureux de se retrouver et surtout sont de vrais ambassadeurs du tourisme et des affaires.

Auteur/Autrice

  • Boris Faure est l'ex 1er Secrétaire de la fédération des expatriés du Parti socialiste, mais c'est surtout un expert de la culture française à l'étranger. Il travaille depuis 20 ans dans le réseau des Instituts Français, et a été secrétaire général de celui de l'île Maurice, avant de travailler auprès des Instituts de Pologne et d'Ukraine. Il a été la plume d'une ministre de la Francophonie. Aujourd'hui, il collabore avec Sud Radio et Lesfrancais.press, tout en étant auteur et représentant syndical dans le réseau des Lycées français à l'étranger.

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