Aux origines de la surréglementation 

Aux origines de la surréglementation 

Les agriculteurs comme de nombreux chefs d’entreprise s’en prennent à la surréglementation et accusent les pouvoirs publics d’un excès de zèle en matière de transcription des directives européennes. Or, sur ce dernier point, tel n’est pas l’avis de la Commission européenne et de la Cour des Comptes qui régulièrement rappellent à l’ordre la France. 

30.000 fonctionnaires en tout à Bruxelles, 30.000 au seul ministère de l’Agriculture

L’Union européenne sert, depuis des années, de bouc émissaire tout désigné, la bureaucratie de Bruxelles étant accusée de tous les maux. Ses 30 000 fonctionnaires qui traitent tous les champs de compétences de l’Union, l’agriculture, les transports, la politique commerciale, etc. sont aussi nombreux que ceux qui travaillent, en France, au sein du seul Ministère de l’agriculture. 

Au vu des réactions des uns et des autres concernant leur faculté supposée à créer des normes, leur productivité doit être impressionnante et digne d’être scientifiquement étudiée. 

La Politique Agricole Commune fait l’objet de nombreuses critiques récurrentes. Or, la France en est la première bénéficiaire en recevant chaque année plus de 9,5 milliards d’euros d’aides. En plus de ces dernières, les agriculteurs bénéficient d’une protection douanière forte qui limite les importations dans l’espace européen et permet les exportations en son sein.

surréglementation
©Stockabobe

Aides directes, subventions et taxes douanières

En 2019, les aides directes de la PAC représentaient 74 % du résultat courant avant impôt des exploitations agricoles françaises. À partir des années 1980, ces aides ont remplacé les mécanismes de soutien tarifaire qui avaient provoqué des surproductions en particulier pour le lait et le beurre. L’obtention des aides est souvent conditionnée au respect d’objectifs, en particulier en matière environnementale. 

Les agriculteurs ont l’impression d’être rémunérés non pas au titre de leur métier mais pour des missions connexes, que leur travail n’est pas suffisamment considéré. 

Loin de nier que l’agriculture et de nombreux autres secteurs économiques souffrent des effets de la surréglementation, il convient de s’interroger sur son origine. Pour certains, elle ne serait que le moyen pour les administrations de justifier de leur existence ; pour d’autres, une volonté manifeste de brimer les forces productives au nom d’impératifs imposés de l’extérieur ou par des minorités agissantes.

87 % des Français approuvent la mobilisation des agriculteurs. 80% demandent aussi des mesures pour la transition écologique, certaines au détriment des agriculteurs.

La complexité des normes trouve bien souvent ses origines dans le cœur même de nos sociétés. Elle reflète les contradictions qui les traversent. Selon un sondage Elabe pour BFMTV, publié le 24 janvier 2024, 87 % des Français approuvent la mobilisation des agriculteurs. Le même jour, une enquête intitulée « Les Français et l’adaptation au changement climatique », réalisée par Toluna et Harris Interactive indique que plus de quatre Français sur cinq demandent au gouvernement de prendre des mesures visant à accélérer la transition écologique, mesures dont certaines peuvent aller à l’encontre des intérêts des agriculteurs. 

La crise agricole du mois de janvier 2024 est à la fois une crise sociale et une crise d’identité. Après celle des bonnets rouges contre les portiques sur les routes et celle des gilets jaunes provoquée par la hausse des taxes sur le carburant, elle est une des manifestations des tensions que génère la transition écologique. 

Les mesures coercitives et les changements de comportements plus ou moins imposés génèrent une montée des oppositions dans une société fragmentée et tentée par le repli sur soi. Les administrations sont contraintes de tenir compte des contradictions intrinsèques à toute société. Les fonctionnaires, contrairement à ce que certains peuvent imaginer, ne produisent pas des normes au sein d’une tour d’ivoire. Elles sont le produit de concertations, de conciliations avec les professionnels qui expliquent une partie des retards dans la publication des décrets d’application des lois.

Le pointillisme administratif est également la conséquence de l’importance des mécanismes de redistribution

Le pointillisme administratif est également la conséquence de l’importance des mécanismes de redistribution. La France est un des pays européens qui aide le plus ses entreprises. L’usage de l’argent des contribuables suppose des contrôles afin d’éviter, autant que possible, les fraudes et les gaspillages. Sur ce sujet, la Cour des Comptes ne manque pas de critiquer dans son rapport annuel la faiblesse des contrôles. La simplification administrative est un combat permanent et une ardente nécessitée. Les nouveaux outils numériques peuvent y contribuer comme en témoigne la réussite du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu. Cette simplification ne saurait suffire à résoudre les maux qui fragilisent la France comme bien d’autres États occidentaux. 

Face aux crises qui se succèdent, la tentation démagogique se diffuse et, avec elle, des fausses solutions ou des idées dangereuses comme le protectionnisme ou le rejet de l’autre. 

L’histoire le démontre, quand le travail ne fournit plus les satisfactions financières et morales attendues, les populations s’en prennent au pouvoir et aux institutions. Il en fut ainsi notamment dans l’entre-deux-guerres. Dans plusieurs pays, cette dérive prend forme sur fond de sentiment de déclassement. 

En période de crise, de changements rapides, la démocratie est fragile car elle accepte, par nature, le pluralisme des opinions y compris celles qui la remettent en cause. Pour se maintenir et prospérer, la démocratie suppose un minimum de sagesse et de discipline de la part des citoyens et des responsables politiques. Elle suppose également un projet et des objectifs clairement exprimés et partagés a minima afin d’éviter la surenchère des intérêts particuliers. Les lois, expression de la volonté générale, se doivent d’être modestes en respectant les minorités, faute de quoi elles tendent à devenir tyranniques.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

    Voir toutes les publications
Laisser un commentaire

Laisser un commentaire