Avantage, jeu, set et match pour les démocraties ? 

Avantage, jeu, set et match pour les démocraties ? 

Depuis quelques années, une idée se répand en vertu de laquelle les régimes autoritaires auraient de meilleurs résultats que les démocraties empêtrées dans leurs divisions et leur complexité. La Chine et la Russie ont été un temps citées en exemples. En période de confusion, les populations tendent à apprécier les solutions qui, à défaut d’être efficaces, sont simples à comprendre. L’expérience des dernières crises, prouve la résilience et l’efficience des démocraties et de l’économie de marché. 

L’efficacité des régimes autoritaires 

Les démocraties sont des structures fragiles qui avancent par à-coups. La ligne droite n’est pas leur caractéristique. La France le démontre, par exemple, sur le sujet du nucléaire. Les gouvernements doivent tenir compte des fluctuations des opinions et de la composition de la majorité parlementaire. Les élections libres peuvent modifier les décisions politiques, les citoyens sont libres de manifester ou de se mettre en grève. 

Les systèmes démocratiques se caractérisent par la multitude des parties prenantes (partis politiques, syndicats, associations, ONG, etc.). Le respect de l’Etat de droit limite les marges de manœuvre et peut allonger les délais de mise en œuvre des décisions. 

Les régimes autoritaires peuvent s’affranchir des règles de droit et peuvent réduire le rôle des opposants. Cette capacité leur donne logiquement une liberté d’action plus grande. 

Après la Seconde Guerre mondiale, il a été admis que démocratie et économie de marché marchaient de pair. L’économie ne pouvait s’épanouir que dans un système démocratique. Or, depuis une vingtaine d’années, la Chine semble prouver l’inverse. Sur cette même période, les démocraties sont confrontées à un recul de leur croissance, de leurs gains de productivité sur fond de fragmentation des opinions. Si dans les années 1990 et 2000, le consensus était de mise au sein des démocraties, il est de plus en plus difficile à établir depuis. En moins d’une décennie, les démocraties sont passées de « la fin de l’Histoire » chère à Fukuyama qui prédisait leur victoire définitive à une période de doutes. Les responsables des régimes autoritaires soulignent leurs piètres résultats et mettent en exergue un soi-disant déclin. Les régimes autoritaires obtiendraient de meilleurs résultats que les États-Unis ou les pays européens. 

Dans les faits, que ce soit sur le plan économique, social et sociétal, l’avantage est nettement en faveur des démocraties.

La Russie, un déclin sans aucun doute

La Russie dont le PIB est équivalent à celui de l’Espagne ou du Benelux, malgré ou à cause de la richesse générée par ses ressources naturelles, connaît une faible croissance depuis une vingtaine d’années, émaillée de crises importantes. Le PIB de ce pays représentait, en 2002, 10 % du PIB de l’Union européenne et 11 % du PIB des États-Unis. En 2022, les taux respectifs sont de 9,5 et 7,5 %. 

Depuis 2010, la Russie en est à sa troisième récession (2016/2020/2022). La croissance qui était de 5 % au début du XXIe siècle en Russie était passée en-dessous de 2 % (lissée sur trois ans) avant la crise sanitaire. 

Les régimes autoritaires sont contraints de garantir les revenus pour éviter la contestation. Les autorités russes utilisent la rente pétrolière pour financer d’importantes dépenses sociales. Si elle était amenée à durer, la guerre en Ukraine imposerait de réduire la prodigalité publique. Les sanctions devraient ralentir les investissements, ce qui pèserait à terme sur la croissance. 

L’éclatement de l’URSS n’est pas, comme le pensait Hélène Carrère d’Encausse, la conséquence de la montée des revendications régionalistes et religieuses des peuples situés dans les Républiques du Sud, mais de la Guerre en Afghanistan, de la compétition technologique avec l’Occident (guerre des étoiles) et de l’affaiblissement du pouvoir central. La Russie a été un des pays confronté au plus grand nombre de décès en matière de covid. Cette exposition élevée à l’épidémie s’explique par une proportion importante de personnes âgées mais aussi par une faible vaccination et par la vétusté du système de santé. La population s’est révélée défiante vis-à-vis du vaccin russe dont le développement avait été pourtant loué par Vladimir Poutine. 

La Russie essaie de conserver son statut de grande puissance par tous les moyens. Les difficultés rencontrées en Ukraine mettent à mal l’aura militaire dont elle s’était parée ces dernières années. L’annexion de son voisin était censée replacer la Russie au cœur de l’échiquier en matière de population et de PIB. Pour le moment, l’aventure la place au ban des puissances occidentales. 

La Turquie, la régression après une décennie de succès 

La Turquie a été considérée dans les années 2000 comme le deuxième pays industriel de l’Union européenne. Son adhésion à l’Union aurait ainsi couronné un développement économique rapide. De 2010 à 2019, ce pays a enregistré en moyenne une croissance supérieure à 5 % l’an. La politique de Recep Tayyip Erdoğan, Président de la République, est devenue au fil des années de plus en plus illibérale et de plus en plus illisible. 

Afin de ne pas perdre le soutien de la population, les autorités turques baissent les taux d’intérêt au fur et à mesure de la progression de l’inflation. La valeur de la lire turque par rapport au dollar a été divisée par trois, alimentant une inflation importée. 

La diminution des salaires réels due à l’inflation provoque une baisse de la consommation et une récession. 

La Chine dans le statut de « is no good » 

La Chine s’imagine comme première puissance économique mondiale. Xi Jinping ne manque pas d’ironiser sur le déclin de l’Occident et sur le concept des droits de l’Homme. 

Si en 2020, la Chine a semblé être en capacité de maîtriser la pandémie au prix d’une réduction des libertés sans commune mesure avec celle subie en Occident, trois ans plus tard, la politique du « zéro covid » s’est avérée une erreur obligeant les autorités de faire machine arrière. 

Ce changement de politique a conduit à un nouvel affaiblissement de la croissance qui est désormais sous la barre des 5 % quand elle dépassait 10 % au début des années 2010. Il marque également l’inquiétude du pouvoir central face aux mouvements sociaux. 

Depuis les années 1990, ce dernier a vendu des augmentations de revenus et l’accès à la société de consommation pour faire oublier le contrôle politique des individus. Si la croissance disparaît, les autorités chinoises resteront-elles légitimes aux yeux de la population ? 

La Chine est confrontée à un rapide vieillissement de sa population qui ne bénéficie pas d’un système de couverture retraite comme en Occident. Pour se garantir du risque vieillesse, les Chinois sont contraints d’épargner des sommes importantes. Ils ont ainsi investi dans l’immobilier alimentant une bulle qui menace d’éclater. Le nombre de logements construits dépasse les besoins, ce qui peut provoquer à tout moment une chute des prix de l’immobilier. 

Pour soutenir l’économie, les autorités locales s’endettent via des structures non-bancaires, au risque de créer une crise financière. 

La Chine avait accepté les grands principes de l’économie de marché sans pour autant les appliquer totalement. Depuis six ans, le régime de Pékin est de plus en plus en plus interventionniste et entend contrôler les multinationales chinoises, alimentant les suspicions d’espionnage à l’encontre des Occidentaux et en premier lieu des États-Unis. La multiplication des sanctions économiques pourrait à terme peser sur sa croissance qui dépend toujours de ses exportations.

Les démocraties traversent mieux les crises 

La liste des régimes autoritaires dont les résultats économiques sont calamiteux est longue. L’Iran figure en haut de ce classement. Avec une population de près de 90 millions de personnes, ce pays doté de richesses naturelles importantes, situé à proximité de l’Europe et de l’Asie, a vocation à devenir une plaque tournante de l’économie mondiale. 

Les démocraties traversent mieux les crises que les régimes autoritaires même si, au début, elles semblent hésiter sur le chemin à suivre et peiner sur les solutions à mettre en œuvre. Elles ont réussi à protéger leur population durant l’épidémie tout en garantissant l’Etat de droit. Sur une moyenne période, elles demeurent performantes sur le plan économique et social. Les inégalités sont moins prononcées au sein de l’Union européenne qu’en Russie ou en Chine.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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