L’élection d’un juge à la Cour suprême du Wisconsin a mobilisé 98 millions de dollars « le scrutin judiciaire le plus coûteux de l’histoire américaine », dont 25 dépensés par Elon Musk. Son candidat a malgré tout été battu. L’argent ne fait pas l’élection, voilà qui est rassurant. Comme est rassurant le fait de dépenser autant d’argent pour faire élire un juge, alors qu’ailleurs, il suffit de lui donner un ordre, ou de l’acheter.
À Tegucigalpa, passant devant des villas, l’ambassadeur d’Italie, curieux, demande à la ministre des finances : « A qui est-elle, cette maison ? » « A Fulano». « Il est dans quoi, Fulano ? » « Les assurances, la banque, l’élevage et la justice. » Investir dans la justice assure un bon rendement. Fulano n’eut aucun procès pendant 25 ans. Après un coup d’État, il perdit ses juges, et la moitié de sa fortune. Son fils passa deux ans aux États-Unis, en prison, pour blanchiment et narcotrafic, comme le dernier Président du Honduras. Nombreux sont les dirigeants qui méritent d’aller en prison, plus nombreux encore ceux qui y envoient leurs opposants.
Avant de devenir un voleur légitime, la première fonction du Prince était de juger.
En Chine, Xi Jinping y expédie le numéro 2 de l’armée. En Turquie, Erdogan y envoie son principal opposant, maire d’Istanbul. En Algérie, la vieille garde corrompue emprisonne un vieil écrivain trop libre. Netanyahou reprend les bombardements de Gaza, et ceux de la Cour suprême. Générosité ou complicité de condamné, Trump gracie plus de 2500 personnes. Biden, durant son mandat, en avait gracié 8.000. Les Américains réinventent de lettres de cachet à l’envers : libérations ordonnées par le Prince. Générosité d’initié, Trump favorise aussi ses amis en les informant de son changement de pied douanier. L’un gagne plus d’un milliard, l’autre quelques centaines de millions seulement. On va en prison pour moins que ça.
Avant de devenir un voleur légitime, la première fonction du Prince était de juger. Le premier droit du citoyen est d’avoir accès au droit. La justice est un contre-pouvoir. Tout pouvoir absolu veut contrôler la justice. Pire : le pouvoir aimerait que sa sentence, son arbitraire soit habillé de justice. Fusiller dans un fossé est insuffisant. Les procès de Moscou, la Révolution maoïste, voulaient des « aveux ». À Hong Kong, le pouvoir chinois muselle les démocrates par les juges. Poutine conjugue les deux, assassinats et procès.
L’existence d’un juge indépendant du pouvoir politique fonde toute démocratie libérale. Opposer la justice « du peuple » à la justice « des juges » nie le droit. Si la démocratie se réduit au pouvoir de la majorité, alors elle revient à la tyrannie de la majorité contre la minorité. La démocratie est insuffisante, quand elle n’est pas constitutive de l’état de droit, du « règne de la loi », qui s’impose à tout pouvoir. L’État doit être soumis au droit. Quel droit ? Non le droit de l’État, mais le droit du citoyen, des droits «imprescriptibles de l’homme ». Démocratie, état de droit, droits de l’homme, tel est le triptyque fondamental de la démocratie dite libérale, toujours imparfaite, toujours attaquée.
La Démocratie « illibérale » est celle qui entend mettre au pas les juges, ce que reproche la Commission européenne à Viktor Orban. À l’occasion de la visite de Netanyahou, la Hongrie a annoncé se retirer de la Cour Pénale Internationale.
On a le droit de critiquer les juges. Du moins dans les pays où la critique est possible.
Bien sûr, on a le droit de critiquer la CPI. Comme on peut critiquer les juges et les jugements. Comme on peut critiquer le Conseil constitutionnel ou la Cour suprême des États-Unis. Personne ne s’en prive. Du moins dans les pays où la critique est possible.
Le juge, censé être neutre, l’est-il s’il s’affiche démocrate ou républicain, s’il a adhéré au « mur des cons » d’un syndicat ? « Tout juge dont on peut légitimement craindre un manque d’impartialité doit en conséquence se déporter » dit la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Faire le procès de la justice et de l’iniquité des juges est facile. Au-delà des critiques, toujours défendre le « Principe malgré le Prince ». Rien de pire qu’un mauvais juge, sinon l’absence de juge. D’où le scandale de cette mauvaise justice, celle qui prend des années, qui traîne et qui ronge.
L’intelligence artificielle écrit les mémoires d’avocat, elle émettra les jugements.
Tout le droit occidental se rattache au droit romain, celui, tardif de Justinien, qui eut l’ambition de recueillir « Tout le droit ancien accumulé depuis 1400 ans » en un code. Aujourd’hui Justinien, collecterait en une base de données les exemples et jugements passés. En appuyant sur le bouton, chacun connaîtrait sa peine avant même d’avoir commis une faute. En France par exemple, un viol est condamné à 9.6 années en moyenne. Un assassinat, en moyenne, 18 ans. Les juges sont plus sévères, la moyenne n’était que de 15 ans entre 2020 et 2021. Cela change selon les pays ; 12 ans en Italie, 16 en Suède, 17 aux États-Unis ou au Maroc. Cela dépend surtout des circonstances. Puisque l’intelligence artificielle écrit les mémoires d’avocat et passe le barreau avec succès, très vite, elle émettra les jugements. En dehors du droit pénal,- fiscalité, urbanisme, travail, commerce – un juge « artificiel » sera rapide, fondé, précis. Il ne faudrait de l’humain que pour le pardon. Seules subsisteront les cours d’appel.
46% des personnes interrogées au niveau mondial considéraient leur système judiciaire comme corrompu.
Combien vaut un juge ? Un mercenaire chinois ( selon Douyin, le TikTok chinois) gagne, s’il survit en Ukraine, 5.2 millions de roubles par an, 2500 euros par mois. Avec le Yoyo de Trump, 12.000 milliards de dollars se sont évaporés. Les initiés ont gagné des centaines de millions de dollars, les épargnants ont perdu. Voilà ce qui choque : un juge ne vaut pas grand-chose, la justice non plus. Selon Transparency International, la moitié (46%) des personnes interrogées au niveau mondial considérait leur système judiciaire comme corrompu. Sur 180 pays, les meilleurs pays de l’Indice de Corruption[1] sont les Européens. La France est vingt-cinquième. Les derniers : Corée du Nord, Nicaragua, Yémen, Soudan, Syrie, Venezuela, Somalie… Le classement est sensiblement le même selon le « World Justice Project »[2] : Nicaragua, Myanmar, Haïti, Afghanistan, Cambodge, Venezuela. Peut-on seulement y parler de justice ? L’injustice y est telle que seul l’arbitraire muselle la guerre civile.
« Qui gardera les gardiens » ? Comment contrôler les juges ? Aucun juge n’est insensible à l’opinion : l’assassin de Jaurès fut acquitté.
Le prix d’un juge ? La révolte.
Que dirait-on d’une médecine dans laquelle les comptables gagneraient plus que les médecins ? Beaucoup d’avocats, huissiers, notaires, juristes, conseillers fiscaux gagnent plus que les juges. Or les juges devraient être choisis parmi les meilleurs juristes.
Voir l’homme le plus riche du monde dépenser des millions pour l’élection d’un juge, c’est inquiétant, et rassurant. La justice reste, orientée ou pas, un contre-pouvoir. Dans une démocratie qui fonctionne, difficile de l’écraser, ou de l’acheter. Si la justice n’est pas le fondement de l’État, alors l’État est illégitime. Le prix d’un juge ? La révolte. Investir dans la justice éviterait qu’on l’achète.

Laurent Dominati
a. Ambassadeur de France
a. Député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press et de l’app bancaire France Pay
[1] https://www.transparency.org/en/cpi/2024
[2] https://worldjusticeproject.org/rule-of-law-index/downloads/WJPIndex2024.pdf
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