Comment devenir un État riche et puissant d’ici 2050 ?

Comment devenir un État riche et puissant d’ici 2050 ?

Le classement des grandes puissances économiques est amené à évoluer d’ici le milieu du siècle. L’Inde, l’Indonésie, l’Arabie saoudite mais aussi le Chili, l’Éthiopie ou la Malaisie entendent gagner des places et se rapprocher des pays dits avancés. 

Les dirigeants de ces pays ne manquent pas d’ambition. Pour rattraper les pays occidentaux, les responsables indiens tablent sur une croissance de 8 % par an, soit 1,5 point de plus que le taux moyen de ces vingt dernières années. L’Indonésie escompte une croissance de 7 % par an, contre une moyenne de 4,6 % sur la même période. L’économie saoudienne devra croître de 9 % par an, contre 2,8 % en moyenne pour intégrer le club des pays riches en termes de PIB par habitant. 

Atteindre de tels taux de croissance sur une durée aussi longue est rarissime. Le Japon, la Chine ou la Corée du Sud l’ont fait mais ces États demeurent des exceptions. Quelles sont les recettes pour maintenir une croissance forte sur plusieurs années ? 

Pour stimuler la prospérité, les économistes prescrivent généralement des réformes de structures, la réalisation d’infrastructures, l’augmentation du niveau de formation, une stabilité juridique et politique, ainsi qu’un régime fiscal incitatif pour les entreprises. 

Ces quarante dernières années, la forte croissance de la Chine et des pays d’Asie du Sud-Est repose sur le développement d’une industrie d’exportation, rendue possible par une main-d’œuvre nombreuse et bon marché. Ces pays ont ainsi bénéficié d’un avantage comparatif sur les marchés de l’automobile (Japon), de l’électronique (Corée du Sud), des produits pharmaceutiques (Singapour) et des produits industriels (Chine).

Les pays émergents d’Asie ont construit leur prospérité en protégeant leur marché intérieur tout en attirant les entreprises et les capitaux étrangers. Ces apports extérieurs ont permis la réalisation d’importants gains de productivité. Le succès de ce modèle conduit des pays comme l’Inde ou l’Indonésie à jouer la carte industrielle. En 2015, le Premier Ministre indien, Narendra Modi, a annoncé son intention d’augmenter la part de l’industrie dans le PIB indien de 16 à 25 %. 

Le Cambodge espère doubler les exportations de ses usines, hors vêtements, d’ici 2025. Le Kenya souhaite voir son secteur manufacturier croître de 15 % par an. 

L’industrie, une voie de croissance datée ?

La priorité à l’exportation de biens industriels pourrait se révéler être un mauvais choix. Au niveau mondial, les ménages consomment de plus en plus de services du fait de l’évolution des comportements et du vieillissement de la population. La transition écologique pourrait peser sur les échanges internationaux tout comme les tensions géopolitiques. 

Au-delà de ces considérations, l’évolution technologique rebat les cartes. La robotisation ou la digitalisation rendent moins nécessaire le recours à la main-d’œuvre à bon marché. En Inde, il faut cinq fois moins de travailleurs pour faire fonctionner une usine de textile en 2007 qu’en 1980. L’industrie repose de plus en plus sur les compétences et le capital, facteurs dont les pays riches sont bien dotés. L’avantage comparatif des faibles coûts salariaux tend à s’atténuer. 

Conscients de cette évolution, les pays émergents veulent prendre des positions dans les industries et les services de pointe mais, en la matière, ils sont en concurrence directe avec les autres pays. 

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Gain/perte de population par continent entre 2020 et 2050©Alternative économique 2023

Le retour du protectionnisme comme outil ou illusion de développement ?

La compétition technologique amène les pays émergents à opter de plus en plus pour un protectionnisme désuet. En Inde, le gouvernement appelle sa population à acheter indien. Il a annoncé des interdictions d’importation sur de nombreux biens, depuis les ordinateurs portables jusqu’aux armes. D’un côté, les capitaux étrangers sont encouragés, de l’autre côté, les importations sont pénalisées. 

Les gouvernements multiplient les aides pour bâtir à grande vitesse des industries de pointe. L’État indien a ainsi consacré, en 2023, plus de 45 milliards de dollars soit 1,2 % de son PIB pour financer des entreprises industrielles. La Malaisie pratique de même. Le Kenya construit actuellement cinq parcs industriels exonérés d’impôts, qui seront prêts en 2030, et prévoit d’en créer vingt autres. 

Les pays richement dotés en matières premières, en particulier celles indispensables à la transition énergétique, misent sur leur exploitation et leur valorisation. Plusieurs pays d’Amérique latine, d’Asie et d’Afrique entendent bénéficier de cette rente pour décoller sur le plan économique. La République démocratique du Congo et le Zimbabwe ou l’Indonésie jouent cette carte. Ils limitent les exportations de métaux pour accroître le prix et pour les réserver à leur industrie naissante. L’Indonésie, depuis 2020, a interdit les exportations de bauxite et de nickel, dont il produit 7 % et 22 % de l’offre mondiale. 

Les responsables politiques de ce pays espèrent en conduire les raffineurs mondiaux à s’y installer. Ils veulent ensuite répéter l’opération jusqu’à maîtriser l’ensemble de la chaîne de valeur. Cette pratique renie la théorie des avantages comparatifs et remet en cause les principes mêmes du commerce international tel qu’il s’est développé depuis 1945.

Subventions et avantages fiscaux

L’Indonésie, comme le Brésil ou la Bolivie, pour attirer les capitaux étrangers, n’hésite pas également à octroyer des subventions ou des avantages fiscaux ou à réaliser les équipements nécessaires pour l’installation des usines. L’Indonésie a dépensé entre 2020 et 2023 400 milliards de dollars, soit plus de 50 % de plus par an qu’en 2014 en infrastructures. Cette somme a servi notamment à la création de 27 parcs industriels. Cette politique axée sur les chaînes de valeur est relativement récente. Les pays pétroliers ont durant des années avant tout exporté du pétrole brut. Ils ont certes développé, ces dernières décennies, quelques centres de raffinage mais ne sont guère allés plus loin dans la valorisation du pétrole. Il convient de souligner que plus de 40 % de la capacité mondiale de raffinage sont localisés aux États-Unis, en Chine, en Inde et au Japon. L’Arabie Saoudite raffine moins d’un quart de sa production. L’entreprise Saudi Aramco, a préféré installer des raffineries en Chine plutôt que dans son pays. 

Les politiques protectionnistes des pays producteurs de matières premières pourraient inciter les pays consommateurs à rechercher chez eux ou dans d’autres pays des gisements. Ils pourraient également chercher des matières premières de substitution. La dépendance au nickel ou au lithium n’est pas de la même ampleur que celle aux hydrocarbures. Les pays du Golfe conscients, de la fragilité de la mono-activité tendent à développer les activités de services qui connaissent depuis des années une forte croissance. 

Les Émirats arabes unis (EAU) se diversifient ainsi sur des secteurs comme le transport maritime et le tourisme ou l’intelligence artificielle. Abu Dhabi a accueilli un musée supervisé par le Louvre et un établissement dépendant de l’Université de New York. Il souhaite prendre des parts de marché dans le secteur de l’espace. 

Le Qatar construit le centre Education City, un campus devant coûter plus de 6,5 milliards de dollars qui s’étendra sur 1 500 hectares. Il comprendra les succursales de dix grands établissements d’enseignement supérieur, dont Northwestern et University College London. Les pays du Golfe construisent des villes qui sont censées être neutre en matière d’émissions de gaz à effet de serre. Le Qatar, les Émirats arabes unis ou l’Arabie Saoudite investissent dans le sport professionnel en rachetant par exemple des équipes de football et en attirant dans leur pays de grands joueurs comme Karim Benzema, Ronaldo et Neymar. 

Dans les pays du Golfe, la transformation de l’économie est organisée par les États. L’Arabie saoudite consacre près de 20 % de son PIB en aides pour l’industrie. 

Près de 80 % de la croissance économique non pétrolière des cinq dernières années provient des dépenses publiques. Les pays du Golfe sont confrontés à un problème de main-d’œuvre qui est en grande partie étrangère et qui est limitée par la faiblesse de l’emploi des femmes. En Arabie saoudite, le taux d’activité de ces dernières est en nette progression (35 % en 2022, contre 20 % en 2018) mais reste très en deçà de la moyenne de l’OCDE (60 %). La productivité par tête dans ces pays demeure assez faible en raison des modes de management utilisés.

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©Atlasocio

Retour à l’étatisation et à l’interventionnisme public

Le développement de l’industrie, la haute technologie, les réseaux, le tourisme sont aujourd’hui les voies privilégiées pour assurer la richesse des nations mais nul ne garantit que celle-ci soit au rendez-vous. Depuis quelques années, le retour est à l’étatisation et à l’interventionnisme public. Dans le passé, ces derniers ont été sources de nombreuses désillusions au sein des pays en voie de développement. 

L’Europe de l’Est au temps de l’URSS ou l’Algérie après la fin de la colonisation ont payé durement la politique des combinats publics. Si l’affirmation de la croissance suppose la réalisation d’infrastructures, l’élévation du niveau scolaire ou encore des taux d’intérêt réels faibles et stables, elle dépend, par ailleurs, de nombreux autres facteurs.

L’Afrique a connu un recul de sa richesse en raison d’un endettement massif fruit de politiques publiques peu inspirées

L’interventionnisme public a conduit dans le passé à d’importants gaspillages et à la corruption dans de nombreux pays. Dans les années 1970 et 1980, l’Afrique a connu un réel recul de sa richesse en raison d’un endettement massif, fruit de politiques publiques peu inspirées. Dans les années 2000, les autorités saoudiennes ont dépensé en vain pour promouvoir une industrie pétrochimique peu compétitive, ne pouvant pas compter sur un personnel suffisamment formé. Plusieurs pays d’Asie ou d’Afrique sont confrontés à nouveau à des problèmes de financement. Le Cambodge, le Kenya, l’Éthiopie sont ainsi au bord du défaut de paiement.

La tentation protectionniste est source de dangers. Elle amènera une baisse de la productivité et de la croissance

La tentation protectionniste de nombreux États, riches ou pauvres, est une source de dangers. Elle amènera une baisse de la productivité et de la croissance. Elle tourne le dos aux enseignements de la crise de 1929. C’est par les échanges que les pays ont connu un essor sans précédent depuis 1945. Ces derniers ont limité le recours à la guerre comme solution aux conflits. Une des raisons de la Seconde guerre mondiale était l’accès aux matières premières, aux produits agricoles et à l’énergie. Les pays de l’Axe, Allemagne et Japon, voulaient également élargir, par la force leur marché intérieur pour écouler la production de leur industrie. Évitons que le XXIe siècle ne ressemble au XXe.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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