Concert de rock et tarification dynamique

Concert de rock et tarification dynamique

Le vendredi 28 août 2009, quelques minutes avant de monter sur la scène du festival Rock en Seine à Saint-Cloud, les frères Gallagher du groupe Oasis s’échangent des coups et détruisent plusieurs guitares. Un des organisateurs du festival est contraint d’annoncer l’annulation de la prestation du groupe et, surtout, sa dissolution. Quinze ans plus tard, le 27 août dernier, les mêmes frères Gallagher ont confirmé leur retour sur scène avec l’organisation d’une série de concerts. À cette occasion, la vente des places a suscité une polémique en raison du recours, par le promoteur des concerts, à la technique de la tarification dynamique, qui ajuste le prix des billets en fonction de la demande.

Le prix d’une place en fosse est ainsi passé de 135 à 335 livres en quelques instants, en raison de l’affluence des acheteurs. Face aux réactions indignées des fans, le gouvernement britannique a annoncé l’ouverture d’une enquête. « Nous allons nous occuper de cette question et nous assurer que les billets sont disponibles à un prix accessible », a promis Sir Keir Starmer, le Premier ministre britannique.

La tarification dynamique contre la spéculation et la fraude.  

Kamala Harris, candidate démocrate à la présidence des États-Unis, a promis de son côté d’interdire cette pratique dans les supermarchés. L’administration américaine a déjà intenté une action en justice antitrust contre Ticketmaster, la société qui a organisé la vente de la tournée Oasis. Les responsables de cette société défendent le recours à la tarification dynamique qui permet, selon eux, de lutter contre la spéculation et la fraude. Des prix trop bas et stables incitent certaines personnes à acheter un grand nombre de places pour les revendre dans des circuits parallèles à des prix élevés.

La tarification dynamique n’est pas l’apanage des concerts de rock. Le secteur des transports ou celui de l’hébergement la pratiquent depuis des années. Le prix des billets d’Air France ou de la SNCF s’ajuste en temps réel en fonction de l’offre et de la demande. Cette technique est-elle simplement une application de la loi de l’offre et de la demande ou constitue-t-elle la preuve d’une asymétrie d’information ? Quel est le rôle du « prix » ?

Le prix des billets d’Air France s’ajuste en temps réel en fonction de l’offre et de la demande.

Le prix a pour vocation de guider les décisions des producteurs et des consommateurs. Quand les prix augmentent, les producteurs sont incités à produire davantage, car cela rend la production plus rentable. Inversement, quand les prix baissent, ils sont incités à réduire la production. Pour les consommateurs, des prix élevés les incitent à réduire leur consommation ou à chercher des alternatives. Le prix devient ainsi un indicateur de rareté. Dans une économie de marché, le prix assure également la coordination entre les différents acteurs économiques, sans besoin d’intervention directe de l’État. Il permet aux marchés de s’autoréguler et de réajuster les quantités offertes et demandées en fonction des besoins. Il permet d’anticiper les coûts de production et les prix de vente. Il est un élément clé des processus d’investissement et de production. C’est dans cette optique que les banques centrales luttent contre l’inflation. La fixation des prix est donc un processus essentiel du système capitaliste. Les pouvoirs publics doivent veiller à ce que celle-ci soit aussi transparente que possible. Ils sont ainsi amenés à lutter contre les pratiques anticoncurrentielles qui faussent la concurrence. Les monopoles ou les oligopoles peuvent entraîner des prix qui ne reflètent pas l’offre et la demande, générant des rentes au détriment des consommateurs.

La tarification dynamique remet-elle en cause le rôle du prix comme régulateur du marché ? Certains pourraient affirmer qu’elle contribue à l’équilibre du marché en opérant en temps réel l’ajustement entre offre et demande. Elle contribution à une expression de la rareté. Après 15 ans d’absence de concerts d’Oasis, les fans du groupe sont nombreux à vouloir y assister. De ce fait, la demande dépasse l’offre. De même, c’est également au nom de cette rareté que les billets de train ou d’avion sont plus chers le vendredi soir et lors des départs en vacances. Cette pratique réduit les risques pour les vendeurs qui, avec l’aide d’algorithmes, peuvent maximiser leur rentabilité.

Pour la vente des places, Oasis a opté pour une autre technique : le tirage au sort.

Certes, une autre manière de gérer la rareté consiste à augmenter l’offre. Le groupe Oasis a ainsi prévu deux concerts supplémentaires. Pour la vente des places, il a opté pour une autre technique : le tirage au sort. Quelle est la technique la plus juste et la plus rationnelle ? La discrimination par l’argent ou par le hasard ?

La tarification dynamique en temps réel pose cependant un problème d’information. Le consommateur ne connaît pas à l’avance le prix de la place de concert et ne peut donc pas planifier son achat, ce qui va à l’encontre du rôle d’information que joue normalement le prix. L’asymétrie d’information intervient quand l’une des parties dans une transaction économique (acheteur ou vendeur) possède plus ou de meilleures informations que l’autre et peut ainsi fausser l’équilibre entre l’offre et la demande.

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En l’absence d’information claire et complète sur le prix d’un produit ou service, les consommateurs sont incapables de prendre des décisions rationnelles. Dans le cas de la tarification dynamique, les acheteurs ne connaissent pas à l’avance le prix final, qui peut varier considérablement en fonction de la demande à un moment donné. Cela crée une incertitude, rendant difficile la planification ou la prévision des dépenses. En conséquence, certains consommateurs peuvent renoncer à acheter ou se sentir obligés d’acheter immédiatement par peur d’une nouvelle hausse des prix. Cette situation fausse la demande car elle ne reflète plus les préférences réelles des consommateurs mais est influencée par une information incomplète.

Dans une situation d’asymétrie d’information, le vendeur, mieux informé sur la manière dont les prix varient, peut manipuler l’offre pour maximiser son profit au détriment du consommateur. Par exemple, si une entreprise sait qu’un grand nombre de consommateurs ignorent que les prix peuvent fluctuer fortement (comme avec la tarification dynamique), elle peut augmenter les prix en période de forte demande, capturant ainsi plus de valeur sans que l’acheteur ait de moyen de comparer les prix en temps réel. Il peut sciemment générer la pénurie. L’asymétrie d’information peut aussi réduire la concurrence en limitant la capacité des consommateurs à comparer les prix.

Si les consommateurs ne peuvent pas connaître facilement ou à l’avance les variations de prix (comme dans le cas de la tarification dynamique), ils ont plus de difficultés à choisir l’offre la plus avantageuse. Cela peut conduire à une forme d’opacité qui protège les entreprises établies de la concurrence d’autres acteurs du marché, faussant ainsi le jeu concurrentiel et réduisant les incitations à améliorer la qualité ou à baisser les prix.

Dans une situation d’asymétrie d’information, les consommateurs peuvent être découragés de participer au marché en raison de l’incertitude et de la complexité. Par exemple, si un consommateur craint que les prix de billets de concert ou d’autres biens varient de façon imprévisible, il peut choisir de ne pas en acheter du tout ou de limiter sa consommation. Cela réduit artificiellement la demande, non pas parce que le consommateur ne veut pas du produit ou service, mais parce qu’il manque d’informations fiables. L’asymétrie d’information réduit la confiance des consommateurs dans le marché. Si les acheteurs ne peuvent pas anticiper les prix ou les variations, ils perçoivent le marché comme injuste. La tarification dynamique fondée sur une asymétrie d’information est sans doute contraire à l’esprit libéral du capitalisme. Que le prix d’un même service ou d’un même bien puisse doubler ou tripler en quelques minutes peut sembler choquant et nuire à la réputation de la marque qui en a la pratique.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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