« Couvrez ce CETA que je ne saurais voir ! »

Le traité de ratification de l’accord commercial entre l’Union européenne et le Canada a été adopté par l’Assemblée nationale le mardi 23 juillet 2019.

Cette ratification a donné lieu à un important débat public. Parmi les arguments soulevés contre cet accord figurent son impact sur l’environnement, ses effets sur les revenus des agriculteurs et le manque de transparence des procédures d’arbitrage en cas de conflits. L’accord économique et commercial global (AECG) ou Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA) est le traité établi entre le Canada et l’Union européenne. Les négociations ont été conclues le 18 octobre 2013 et il a été signé par les représentants des parties prenantes le 30 octobre 2016.

L’application provisoire de l’accord, concernant plus de 90 % de ses dispositions, est intervenue le 21 septembre 2017. Une clause prévoit qu’en cas de rejet par l’un des Parlements des États membres, l’accord s’applique provisoirement durant trois années.

La peur que suscite le Canada est inversement proportionnelle à son poids démographique. En effet, ce pays est peuplé de 37 millions d’habitants contre 70 millions pour la France et plus de 500 millions pour l’Union européenne. Le Canada est la dixième puissance économique mondiale avec un PIB par habitant comparable de celui de la France. L’accord commercial est appliqué de manière temporaire depuis le 21 septembre 2017 sans que cela ait généré d’importantes perturbations sur les marchés agricoles européens.

Le CETA permet aux parties prenantes d’aller plus loin en termes de baisses des barrières commerciales que le cadre prévu par l’Organisation Mondiale du Commerce. Il supprime les droits de douane pour presque tous les produits, soit près de 98 % des droits de douanes entre les deux régions, dès la mise en œuvre de l’accord. Les droits de douane sont déjà très faibles entre les deux zones économiques. Ils passent en moyenne de 1,2 à 0%. Certes, certains secteurs étaient soumis à des tarifs plus importants comme ceux en vigueur sur les produits chimiques et plastique (en moyenne de 4,9 % avec un maximum de 6,5 %). Pour les produits manufacturés, les taux de 1,8 et 3,3 % disparaissent. Il est à noter que certains produits industriels pouvaient être soumis à des taux de 22 %.

Sont également supprimés les droits de douanes sur les produits miniers et métalliques comme ceux sur l’aluminium et ses dérivés qui étaient de 6,3 %, sur le nickel et ses dérivés qui étaient de 3,3 % ou encore sur le cuivre, le zinc, le plomb et l’étain et leurs dérivés qui étaient de 3,1 % en moyenne.

Pour certains produits l’élimination des droits de douanes est progressive sur 3, 5 ou 7 ans. Cela concerne notamment le secteur automobile, certains produits de la mer et quelques produits agricoles. Cependant, même dans ces catégories, une large majorité des produits voient leurs droits de douane supprimés immédiatement avec, par exemple, des droits de douanes sur les produits de la mer qui pouvaient aller jusqu’à 20 %, ou encore pour les produits agricoles des droits de douanes européens de 12% sur les cerises, de 9% sur les pommes, ou encore de 17,3% sur le miel.

Certains produits agricoles voient la suppression de droits de douanes variables comme le blé dur qui avait des droits de douanes compris entre 190 dollars/tonne et zéro selon la situation de marché, ou le blé commun avec des droits de douane maximum de 122 dollars/tonne, l’avoine avec des droits de douane fixes de 89 euros/tonne, l’orge et le seigle avec des droits de douane fixes de 93 euros/tonne.

En revanche, contrairement à ce qui a pu être affirmé par certains, les viandes de volailles et les œufs sont exclus de l’accord dans les deux sens, et les viandes bovines et porcines dans le sens allant du Canada vers l’Union. Des contingents d’accès exemptés de droits sont toutefois introduits de manière progressive sur 3, 5 ou 7 ans. Les quotas de viandes bovines passeront de 4 162 à 45 840 tonnes par an quand ceux des quotas de viandes porcines passeront de 5 549 à 75 000 tonnes par an.

Par ailleurs, les produits laitiers au départ de l’Union européenne sont exclus. Un contingent tarifaire est toutefois introduit et s‘ajoute à celui qui existe déjà. Le traité oblige le Canada à reconnaître 145 appellations d’origines contrôlées européennes non viticoles sur les 1 500 que compte l’Union européenne.

Il faut également souligner que les produits agricoles ou alimentaires non conformes aux règles de l’Union tels que le bœuf aux hormones ou le poulet au chlore sont exclus de l’accord, de même que les OGM qui ne sont pas approuvés par l’Union.

L’accord prévoit également l’ouverture des marchés publics. Pour le Canada, le taux d’ouverture passera de 10 à 30% des marchés publics. Les marchés publics européens ne devraient pas être plus ouverts aux entreprises canadiennes car 90% des marchés publics le sont déjà ouverts. Comme dans une grande majorité des accords commerciaux, une procédure d’arbitrage des conflits spécifique existe. Ce recours à l’arbitrage permet de résoudre rapidement les problèmes commerciaux sans passer par la voie judiciaire classique.

Le traité comporte également un volet sur le développement durable, l’environnement et le droit du travail. Des reconnaissances de qualifications et de diplômes sont également incluses et rationalisées dans le traité.

Depuis la mise en place temporaire du traité, les exportations européennes vers le Canada ont augmenté de 7% en valeur (en euros), par rapport à la même période l’année précédente, alors que les exportations du Canada vers l’Union européenne sur cette même période ont diminué de 3%. Selon les données de la Commission européenne, sur la période d’octobre 2017 à juin 2018, l’augmentation des exportations vers le Canada par rapport à l’année précédente concerne des produits comme les machines, appareils et engins mécaniques (+8%), les produits pharmaceutiques (+10%), les produits cosmétiques (+11%), les vêtements (+11%), les fruits (+29%), le chocolat (+34%) ou encore les vins pétillants (+11%).

Pour les seuls échanges agroalimentaires bilatéraux France-Canada, dans les 12 mois suivant la mise en application provisoire de l’accord, les importations canadiennes de produits français se sont élevées à 1 174 millions de dollars canadiens, par rapport à 1 036 millions de dollars canadiens pour la période de 12 mois immédiatement antérieure, soit une progression de 13,3%. Parallèlement, les importations françaises de produits agroalimentaires canadiens se sont élevées à 314 millions d’euros, par rapport à 431 millions d’euros pour la période de 12 mois immédiatement antérieure, soit une diminution de 27,2%. Le solde commercial bilatéral de la France pour les produits agro-alimentaires, déjà très excédentaire, s’est encore accru depuis la mise en application provisoire du CETA notamment pour le fromage et dans une moindre mesure pour le vin.

Le protectionnisme est une tradition française. Le libre échange est toujours perçu contre nature, imposé par des élites déconnectées du terrain. Ainsi, Napoléon III fut critiqué quand il imposa le traité franco-britannique en 1860. De même, le Traité de Rome créant le marché commun, entraîna une forte contestation de la part des agriculteurs. Depuis une trentaine d’années, qu’ils soient négociés dans le cadre de l’OMC ou de manière bilatérale, les accords de commerce donnent lieu à une cristallisation des oppositions de nature agricole, écologique ou anticapitaliste.

Les réactions au CETA sont d’autant plus étonnantes qu’il a été prouvé que les échanges entre pays ayant des états de développement voisins engendrent des flux fructueux et moins déstabilisants pour les économies respectives. Les coûts de production sont proches tout comme les besoins de consommation de la population. Les accords permettent de faire jouer les avantages comparatifs avec des transferts faibles d’activités.

Initialement, il était imaginé de créer un grand espace commercial entre l’ensemble de l’Amérique du Nord et l’Union européenne. L’objectif était de réunir les deux plus grands marchés de consommation et de faire contrepoids à l’Asie du Sud Est. La dégradation des relations avec les États-Unis et la crainte qu’un tel accord permette au Royaume-Uni de profiter du marché commun européen a entraîné l’arrêt des négociations.

Dans l’histoire économique, il n’y a pas un exemple où des États ayant mis en œuvre des politiques protectionnistes en soient ressortis gagnants, de la Chine du XVIe siècle dont les Empereurs refusaient le commerce avec les barbares, à l’URSS en passant par les États fraichement décolonisés d’Afrique.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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