De la sympathie pour le diable 

De la sympathie pour le diable 

Les Français ont une sympathie pour le diable en prenant un malin plaisir à s’autodénigrer en permanence, préférant bien souvent la face sombre de la lune à une vision plus positive de la situation économique et sociale. Sur de nombreux sujets, le sentiment de défiance qui traverse la société depuis des siècles de la fronde sous Louis XIV aux Gilets jaunes, mine le pays. Quand l’émotionnel l’emporte sur la raison, le bon grain se mélange bien souvent avec l’ivraie, en particulier en matière économique.

En moins de deux ans, plus d’un million d’emplois ont été créés 

Pendant des années, la France s’est caractérisée par son chômage de masse. Les pouvoirs publics ont dépensé sans compter pour tenter de le réduire avec des résultats plus ou moins convaincants. La fin de l’emploi a été à maintes reprises annoncée avec comme corollaire la nécessité d’instituer un revenu universel. En moins de deux ans, plus d’un million d’emplois ont été créés. Le nombre de demandeurs d’emploi est aujourd’hui inférieur à celui de 2011 et le taux de chômage à celui de 2008. La liste des secteurs confrontés à des pénuries de main-d’œuvre s’allonge. Le bâtiment, l’hébergement, la restauration, la santé, l’éducation, l’informatique, etc. 

Avec les départs à la retraite des larges générations des années 1960, les besoins de main-d’œuvre ne peuvent que s’amplifier. Ils pourraient atteindre en moyenne 5 % des emplois en 2030, soit plus de 1,5 millions potentiellement non pourvus. Contrairement à la thèse de la disparition du travail en raison de l’automatisation et de la robotisation, l’économie est menacée d’un déficit d’emplois faute de personnel en nombre suffisant. 

La richesse d’un pays dépend toujours de la taille de la population active ; sans bras, sans cerveau, il n’y a pas d’espoir de création de richesses. Le robot même auto-entreprenant n’a pas de capacité intrinsèque d’imagination. Les activités de services dont le poids augmente en raison du vieillissement de la population et de son appétence aux loisirs génèrent un grand nombre d’emplois.

Le pouvoir d’achat a, en moyenne, augmenté de 2,6 % par an lors de ces vingt-deux dernières années 

Les inégalités sociales en France sont un thème de division voire de tensions. Pour autant, après prise en compte des prélèvements obligatoires et des prestations sociales, elles sont selon l’INSEE stables depuis de nombreuses années. Le rapport entre les revenus des 10 % les plus pauvres et ceux des 10 % les plus riches est voisin de 3,5. Le taux d’inégalité qui mesure la proportion de personnes dont les revenus sont inférieurs à 60 % du revenu médian est stable à 14 %. Le pouvoir d’achat a, en moyenne, augmenté de 2,6 % par an lors de ces vingt-deux dernières années. 

En 2021, malgré la crise sanitaire, grâce au « quoi qu’il en coûte», il avait augmenté de 2,3 %. Le ressenti est pourtant tout autre. L’augmentation des dépenses pré-engagées et en premier lieu celles du logement en est une des raisons. En revanche, les inégalités patrimoniales en lien avec l’appréciation de l’immobilier et des valeurs financières se sont accrues dans des proportions plus ou moins importantes selon les États. La forte valorisation des valeurs mobilières et immobilières est, en partie, la conséquence des taux d’intérêt maintenus bas durant des années.

Le marché immobilier a enregistré environ un million de transactions, proche du record historique  

Autre affirmation à relativiser, l’année dernière, à maintes reprises, des informations ont circulé sur l’effondrement du crédit en raison de la hausse des taux d’intérêt. Les règles du taux d’usure, instituées pour protéger les emprunteurs, auraient provoqué le rejet de près d’un dossier sur deux. La hausse des taux empêcherait de nombreux Français d’accéder à la propriété. Or, selon la Banque de France, la production de crédits a atteint 218 milliards d’euros de prêts en 2022, légèrement en-deçà du record absolu de 225 milliards d’euros de 2021. Plus de 50 % des prêts ont bénéficié à des primo-accédants. Le marché immobilier censé être en crise a enregistré environ un million de transactions, résultat proche également du record historique de 2021. 

La France est le pays de l’Union européenne où le crédit est le plus abondant et le moins cher d’Europe. Malgré leur augmentation, les taux d’intérêt demeurent aujourd’hui à des niveaux historiquement bas. En intégrant l’inflation, ils sont en termes réels négatifs de plusieurs points. Pour ceux dont les revenus augmentent, ces taux négatifs sont une aubaine. C’est ainsi que durant les années 1970 et 1980 des millions de Français ont pu devenir propriétaires de leur résidence principale. Par ailleurs, les taux d’intérêt faibles de ces dernières années ont provoqué une augmentation des prix de l’immobilier qui a empêché de nombreux jeunes actifs d’acquérir un logement.

Internet et ses réseaux sociaux favorisent le manichéisme et les raccourcis 

Internet et ses réseaux sociaux favorisent le manichéisme et les raccourcis au détriment de l’analyse, et d’une mise en perspective historique. Aujourd’hui, face au double défi auquel nous sommes confrontés – lutte contre le réchauffement climatique et vieillissement démographique – nous devrions privilégier la raison et retenir la leçon de l’ancien dramaturge et Président tchèque Václav Havel : « L’espoir est un état d’esprit. C’est une orientation de l’esprit et du cœur. Ce n’est pas la conviction qu’une chose aura une issue favorable mais la certitude que cette chose a un sens quoi qu’il advienne ». 

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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