Des GAFAM aux MAAMA, les stars du numérique investissent tous azimuts

Des GAFAM aux MAAMA, les stars du numérique investissent tous azimuts

Avec la transformation de Facebook en Meta, les GAFAM sont devenus les MAAMA. Meta, Alphabet, Amazon, Microsoft et Apple continuent leur marche en avant.

Au mois d’octobre dernier, Mark Zuckerberg a renommé Facebook en Meta en promettant à chacun de pouvoir vivre prochainement deux vies en une, l’une dans le réel et l’autre dans les mondes virtuels. Le 18 janvier de cette année, Microsoft dont la capitalisation dépasse 2 000 milliards de dollars, tout comme Apple, a décidé d’acquérir pour 69 milliards de dollars, Activision Blizzard, une société de jeux vidéo, dans le cadre du plus gros achat de son histoire. Les MAAMA ont investi 280 milliards de dollars au cours de l’année écoulée, soit 9 % des investissements de toutes les entreprises américaines, contre 4 % il y a cinq ans.

Les responsables antitrust regardent avec de plus en plus d’attention les politiques d’acquisitions des entreprises du numérique. En 2020, la plus haute responsable antitrust américaine, Lina Khan, a recommandé d’interdire aux grandes entreprises technologiques de s’étendre dans les zones adjacentes.

Des mesures  antitrust au Etats–Unis et en Europe

L’Europe pourrait adopter prochainement une loi sur les marchés numériques visant à les réglementer « ex ante », c’est-à-dire à agir en amont sur le comportement des entreprises en lieu et place d’actions « ex post ». Compte tenu de l’importance du secteur de la haute technologie, l’encadrement des politiques d’investissement sera délicat à mettre en œuvre. Les grandes entreprises du numérique sont devenues des acteurs économiques incontournables dont le montant des investissements a doublé en dix ans. Les MAAMA sont accusées de réduire la concurrence en achetant des start-up prometteuses.

Les contradicteurs des grandes entreprises du numérique mettent l’accent sur la faible productivité de leur recherche. Apple n’aurait pas sorti d’innovations majeures depuis l’iPhone. Si Apple a amélioré les capacités de calcul ou l’autonomie de ses produits, les ruptures technologiques se font attendre. Les voitures autonomes ou volantes, les robots multitâches individuels restent pour le moment du domaine de la science-fiction. En 2020, un rapport d’un sous-comité antitrust du Congrès américain affirmait que la domination des grandes technologies avait « considérablement affaibli l’innovation ». Leur politique consiste avant tout dans la maîtrise de leur réseau afin de fidéliser leurs clients. La concurrence serait amoindrie par un partage tacite du marché du digital par ses grands acteurs.

Alphabet, Amazon, Apple, Meta et Microsoft ne s’affrontent pas frontalement. Google (Alphabet) domine sur les moteurs de recherche et la publicité, Amazon est devenu l’hypermarché en ligne du monde, Apple est tout à la fois un producteur de biens technologiques et un fournisseur de services avec les applications, Meta regroupe d’importants réseaux sociaux dont Facebook, et Microsoft est l’entreprise numéro un dans le domaine des logiciels professionnels et des ordinateurs individuels.

Les « Big Five » ont institué un oligopole qui les préserve des attaques

Les zones de friction existent mais sont gérés. Ainsi, Microsoft vend des ordinateurs et des smartphones mais il n’en fait pas son axe majeur de développement. Il est présent sur les réseaux avec LinkedIn mais l’objectif de ce réseau est centré avant tout sur la sphère professionnelle. Amazon concurrence Apple sur le streaming musical mais avec modération. Google a abandonné toute prétention en matière de musique en ligne et de réseaux. Les « Big Five » ont institué un oligopole qui les préserve des attaques et leur permet de bâtir, en toute tranquillité, leurs futurs produits ou services. Ayant elles-mêmes connu une croissance exponentielle, elles sont toutes bien conscientes que manquer le prochain changement transformateur pourrait les exclure du monde de demain.

Pour autant, en 2021, les Big Five ont dépensé 1 500 milliards de dollars en recherche et développement, soit environ un quart du total des dépenses publiques et privées américaines en la matière. Les moyens de financement des grandes entreprises du digital sont actuellement sans comparaison. Ils sont en phase avec leurs revenus qui ont atteint plus de 9 000 milliards de dollars, revenus qui ont presque triplé entre 2015 et 2020. Il est à souligner que les dépenses de R&D augmentent moins vite que les ventes, soit +25 %, contre +33 % lors de ces cinq dernières années. Une grande partie de ces dépenses a été consacrée au développement de produits. Ce poste a progressé de 2019 à 2021, de près de 40 %. Les dépenses d’investissement ont augmenté de 25 %.

1500 milliards de dollars en recherche et développement

Chaque année, Apple est à la recherche d’innovations pour ses nouveaux iPhone dont le rythme de sortie est annuel. Elle investit également dans les casques audio et visio ainsi que dans l’automobile. Amazon essaie sans relâche d’améliorer l’efficacité de ses entrepôts et de son système de livraison. Meta est contrainte d’innover pour conserver son nombre d’adhérents à ses réseaux sociaux. La baisse d’attractivité de Facebook en particulier auprès des jeunes l’oblige à revoir en permanence son modèle. La chute en bourse de Netflix du fait de la stagnation du nombre de ses abonnés prouve la fragilité des positions économiques dans le secteur du numérique.

Les chercheurs des Big Five sont devenus des acteurs clef de la recherche et développement mais aussi de la recherche fondamentale dans de nombreux domaines (mathématiques, sciences comportementales, médecine, informatique, etc.). De 2015 à 2019, ils ont publié plus de 16 000 articles dans des revues scientifiques. Les chercheurs d’Amazon ont ainsi publié un article sur les moyens d’éviter les doublons dans les résultats de recherche. Les équipes de Google Research rendent publics des travaux d’un niveau très élevé concernant la médecine. Alphabet se sert de sa politique de publication pour attirer les meilleurs chercheurs. Elle est ainsi devenue la quatrième entreprise la mieux classée dans l’édition actuelle de l’indice Nature, en ce qui concerne la recherche universitaire en sciences.

Métavers, véhicules autonomes, santé, espace, robotique, fintech, cryptoactifs, informatique quantique

Apple a contrario publie peu, en lien avec sa politique du secret qui lui est chère. Les analystes estiment qu’entre 5 % et 20 % des dépenses de R&D des géants de la technologie sont consacrées aux « technologies de pointe » : le métavers, les véhicules autonomes, les soins de santé, l’espace, la robotique, la fintech, les cryptoactifs, l’informatique quantique.

Au cours des trois dernières années, les Big Five ont acquis plus de 110 entreprises. Plus d’un quart des entreprises acquises sont spécialisées dans l’intelligence artificielle ou dans le traitement de vastes ensembles de données.

Microsoft est actuellement l’investisseur le plus important. En avril 2021, il a acheté « Nuance Communications », un fournisseur de logiciels et de cloud spécialisé dans le domaine de la santé pour 19,7 milliards de dollars. Il a également acheté des startups qui facilitent les services sur le cloud, telles que « Mover.io », qui aide les entreprises à transférer des données et « CloudKnox », une entreprise de cybersécurité. Google a acquis trois startups également spécialisées sur le cloud et des entreprises dans le secteur de la santé. Meta a investi essentiellement dans des entreprises qui travaillent dans la réalité augmentée. Apple a fait de même. La priorité pour cette dernière demeure l’intelligence artificielle. Sur ces 22 acquisitions depuis 2019, plus de la moitié ont été des startups intervenant sur ce créneau. Apple, qui a acquis Drive en 2019, une startup de voitures autonomes, entend se développer sur ce secteur. Son projet Titan vise à lancer un véhicule en 2025. Microsoft a rejoint la course, avec un investissement dans Wayve, une entreprise de voitures autonomes basée à Londres. Amazon a également renforcé ses positions dans ce secteur. Elle a pris des participations dans des entreprises de taille intermédiaire développant des solutions logicielles pour ce type de véhicules. Amazon est intéressée par les flottes de véhicules autonomes tant pour la gestion de ses entrepôts que pour les livraisons.

Amazon est également très active dans le domaine de la robotique toujours avec un objectif d’automatisation de ses entrepôts. Google a également investi dans deux sociétés de voitures autonomes, Waymo, une société issue à l’origine de X, l’unité interne « moonshot » du géant de la technologie, et Nuro, une entreprise de livraison autonome. 9 % des investissements réalisés par les grandes entreprises technologiques concernent les voitures et la mobilité.

En 2021, les filiales d’investissement d’Alphabet, d’Amazon et de Microsoft ont conclu environ 400 transactions. Une centaine d’entre-elles concernaient des entreprises travaillant dans les sciences de la vie ou les soins de santé, un domaine que les entreprises technologiques considèrent comme attractif compte tenu du potentiel de croissance et du rôle croissant de l’intelligence artificielle dans la biologie.

Les entreprises de technologie financière telles que Botkeeper, un service de comptabilité automatisé constituent également une priorité de ces filiales. Le secteur financier est également suivi de près par Apple qui a acquis Mobeewave, une startup de paiement, pour transformer les iPhones en terminaux mobiles de paiement sans contact. L’année dernière, Amazon a acheté Perpule, une société indienne de technologie financière, et travaille avec Goldman Sachs pour élargir l’offre de prêt aux entreprises.

Le Netflix du jeu vidéo, sans console

L’acquisition d’Activision Blizzard, un développeur de jeux vidéo, par Microsoft, est la plus importante dans l’histoire de ce groupe et, plus largement, de l’industrie du jeu vidéo. Elle a coûté plus de deux fois le coût du rachat de LinkedIn en 2016. Cette acquisition s’inscrit dans la volonté de Microsoft de devenir incontournable dans l’univers du jeu. Ce secteur en pleine croissance représente près de 300 milliards de dollars de chiffre d’affaires.

Apple, Netflix et Amazon ont décidé de s’investir également dans le jeu vidéo qui offre des rentabilités élevées et qui permet de capter un public jeune. Avec notamment ses consoles, Microsoft est dans le secteur du jeu depuis deux décennies. Il gagne 15 milliards de dollars par an. Microsoft devrait devenir la troisième plus grande entreprise de jeux vidéo en termes de chiffre d’affaires, derrière Tencent, une entreprise chinoise, et Sony connue pour sa Play Station. En tant que producteur de consoles vidéo, Microsoft a besoin de contenus pour capter un nombre croissant de joueurs. Activision Blizzard a dans son portefeuille de jeux entre autres, « Call of Duty », « Candy Crush », « Warcraft ». King, une division d’Activision Blizzard spécialisée sur le jeu sur mobile, compte 245 millions de joueurs. En ayant les droits sur « Call of Duty », Microsoft peut décider d’autoriser ou non sa diffusion sur d’autres consoles que les siennes. Il dispose d’une arme de négociation importante en particulier à l’encontre de Sony qui dépend des ventes des consoles Play Station.

L’achat d’Activision Blizzard complète celui de ZeniMax Media, une autre société de jeux. Réalisé en 2020, il avait alors coûté 7,5 milliards de dollar. Microsoft avait alors annoncé qu’elle respecterait les termes des accords d’édition existants entre ZeniMax et Sony, mais que l’accès de cette dernière aux nouveaux jeux de ZeniMax serait considéré « au cas par cas ».

Les acquisitions de Microsoft visent à lui permettre d’être un acteur important du jeu au moment où l’essor du metavers pourrait modifier la donne. Microsoft espère utiliser sa force dans le cloud pour imposer son système de jeux en ligne et devenir le « Netflix » du secteur. Le jeu en streaming via le cloud élimine le besoin de posséder une console ou un ordinateur puissant et coûteux. Même si d’autres entreprises, dont Sony, Amazon et Nvidia, proposent des services similaires, aucune ne semble aussi bien placée que Microsoft qui dispose d’un savoir-faire pour la gestion de logiciels en ligne et d’un nombre importants de clients.

La France, terre d’investissement, et l’Inde face à la Chine

Les géants du digital investissent dans un grand nombre de pays. La France est ainsi une terre d’investissement majeure pour Microsoft. Avec le refroidissement des relations avec la Chine, l’Inde est aujourd’hui au cœur des attentions des Big Five. Ce pays est connu pour héberger de nombreuses start-up innovantes. Près du quart des acquisitions réalisées entre 2019 et 2021, par les stars du digital proviennent d’Inde. Amazon a acquis une participation dans « BankBazaar ». En 2020, Google a annoncé sa volonté d’investir 10 milliards de dollars dans des entreprises technologiques indiennes au cours des cinq à sept prochaines années.

Au vu des recherches et des acquisitions, le Yalta qui prédomine entre les grands du digital pourrait voler en éclats à moins qu’une nouvelle répartition des champs d’action s’établisse. Les domaines de la santé, de la fintech, des voitures autonomes et de l’informatique quantique les intéressent tous. La concurrence est pour le moment larvée mais pourrait bien prendre une autre forme si un des acteurs se trouvait à avoir un avantage comparatif certain. Avec le potentiel développement des véhicules autonomes, l’entreprise qui sera la première à maîtriser l’informatique quantique qui démultiplie le potentiel des ordinateurs serait en position de force. La possibilité d’imposer un monde virtuel, voie de passage obligée pour les achats en ligne et l’accès à certains services, pourrait également modifier en profondeur les frontières entre les acteurs du numériques.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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1 Comments

  1. […] En comparaison de la Chine, qui a réalisé des investissements colossaux dans le domaine, la France possède un certain retard. Il faut dire qu’en 2016, la Chine lançait le premier satellite de communication quantique au monde (QUESS, ou Mozi/Micius) et qu’en 2017, c’est un réseau de fibres optiques de 2000 km de long qui fut testé entre Pékin et Shanghai, avec succès. Par ailleurs, il est à présent possible pour la Chine d’établir une connexion quantique avec Mozi en utilisant un dispositif de 80 kg au sol, contre une dizaine de tonnes auparavant. La miniaturisation a donc bien évolué et permet de rendre le dispositif transportable. Les GAFA ont fait des investissements massifs dans le domaine également. […]

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