Hommage national aux 13 militaires tués au Mali

Hommage national aux 13 militaires tués au Mali

Sa voix calme et grave résonne dans le combiné. « J’ai tout de suite pensé aux familles et à ce qui les attend. Le plus dur est à venir. Au début, on est porté. Cette communion monte très haut, mais quand elle disparaît, ça peut descendre très bas. » Dominique Jacq a perdu son fils Fabien, dans la guerre au Mali. Touché par l’explosion d’une mine, ce maréchal des logis-chef de 28 ans a succombé à ses blessures, le 4 novembre 2016. Il est alors le 16e soldat français à tomber depuis le début de l’intervention française, en 2013. Ce macabre décompte a été considérablement alourdi, lundi 25 novembre : 13 militaires ont été tués dans une collision d’hélicoptères, pendant une opération de combat contre des jihadistes.

A ce jour, quarante-et-un soldats français sont morts au Mali. « Lorsqu’un soldat est tué, cela vous rappelle votre propre situation, c’est parfois difficile », poursuit Dominique Jacq, depuis Pont-Péan, en Ille-et-Vilaine. « A chaque fois, cela rouvre la plaie, on se dit que ça ne va pas s’arrêter », renchérit Céline Noblet, la sœur de Damien Noblet, un maréchal des logis de 32 ans, mort en avril 2016. Ce père d’un petit garçon de 5 ans au moment du drame, a lui aussi été tué par une mine. « Mes premières pensées vont aux familles, j’imagine leur état d’esprit, je me retrouve trois ans en arrière… », soupire Céline.

« Tout s’écroule »

Tout commence par un coup de fil de sa mère, tôt dans la matinée du 12 avril 2016. « Il y a eu un accident, Fabien est blessé. » Pas plus d’informations. Céline « s’accroche à ça, toute la journée : il n’est que blessé ».Le soir, les médias laissent présager le pire : le pronostic vital de son frère est engagé. Il est plus de minuit quand la nouvelle tombe.

Ma mère m’a appelée, juste appelée, elle ne pouvait pas parler, mais j’ai compris tout de suite. C’est un véritable tsunami, la vie s’arrête.Céline Nobletà franceinfo

Dominique Jacq traverse les mêmes étapes, quelques mois plus tard. Un premier appel, d’abord pour lui dire que son fils est blessé, puis un second, à une heure du matin, pour lui signifier son décès. « Evidemment, on ne dort pas de la nuit et puis à 8 heures du matin, ça sonne à la porte, raconte ce policier à la retraite. Deux militaires encadraient le maire, on ne voit ça qu’au cinéma, c’était surréaliste. » « On ne peut pas l’imaginer, ajoute-t-il, car dans nos sociétés actuelles, la guerre n’existe plus. »

Chez les Barbé, la vie s’arrête le jeudi 6 avril 2017. Le caporal-chef Julien Barbé, est mort la veille au Mali. Ce père de deux filles, âgé de 27 ans, est tué dans une embuscade, à 200 kilomètres au sud-ouest de Gao. « Le magasin était fermé, ils sont arrivés à six, cinq militaires et une assistante sociale, j’ai compris tout de suite qu’il était mort au combat », confie son père, Pascal Barbé, charcutier-traiteur dans l’Orne, d’une voix très émue.

Un soldat français de la force Barkane devant le mont Hombori, au Mali, le 27 mars 2019.
Un soldat français de la force Barkane devant le mont Hombori, au Mali, le 27 mars 2019. (DAPHNE BENOIT / AFP)

« Il n’y a pas de bonne manière d’apprendre la mort de son fils », souffle Marie-Christine Jaillet. Cette universitaire, directrice de recherches au CNRS, a perdu son fils unique, Thomas Dupuy, membre du commando parachutiste de l’air d’Orléans, le 29 octobre 2014, à Gao. « J’étais dans le Lot à la campagne et le téléphone a sonné à 19h45. Mon mari a décroché et j’ai vu à son expression qu’il se passait quelque chose, il m’a dit : c’est l’armée »,raconte celle qui vit à l’année à Toulouse.

L’armée avait essayé de me joindre toute la journée, il fallait qu’ils me contactent avant les JT du soir. A 20 heures, il y avait le portrait de mon fils à la télévision, souriant.Marie-Christine Jailletà franceinfo

« C’était une photo choisie par ses compagnons, une très belle photo »,

se souvient-elle. En une fraction de seconde, son monde bascule. Ce fils unique, sans enfant, la laisse « doublement orpheline » (il n’y a pas de mot, en français, pour désigner un parent qui perd son enfant). « Tout s’écroule, vous n’y croyez pas », murmure-t-elle.

Pour ces familles, la vie d’après débute. Toutes reconnaissent avoir bénéficié d’un accompagnement exceptionnel de l’armée. « On ne les lâche pas, on les accompagne autant que de besoin », assure le colonel Antoine Brulé, chef de la cellule d’aide aux blessés de l’armée de terre (Cabat). Au sein de chaque unité militaire, c’est le bureau « environnement humain » qui s’occupe des familles endeuillées, tandis que les cellules d’aide aux blessés coordonnent l’action au niveau national. « Quand un militaire tombe, c’est tout le régiment qui tombe », souligne Dominique Jacq. « Ils ont été fantastiques, les armées et le 6e régiment d’Angers, c’est ma deuxième famille », ajoute Pascal Barbé.

« La haine, c’est fatigant »

Malgré les moyens mis en place par l’armée (financiers, juridiques, administratifs ou psychologiques), la douleur est déchirante. Si aucun ne dit avoir ressenti de colère – « la haine, c’est fatigant », dit Dominique Jacq –, la culpabilité surgit très vite. « Pourquoi je l’ai laissé s’engager ? Ça a été ma première réaction. Puis : je n’ai pas su protéger mon enfant », se rappelle le père de Fabien Jacq, avant d’ajouter : « J’ai perdu ma femme il y a 20 ans. Je me disais que le destin n’allait pas nous abattre deux fois. » Sa famille et ses proches le « secouent », le prient d’« arrêter ce raisonnement ».

Céline Noblet s’est trouvée dans « un état second », jusqu’à ce qu’un événement la rattache très vite au réel : des contractions. Céline est enceinte de six mois. Sa sage-femme l’avertit : « Soit vous vous laissez aller et vous la perdez, soit vous tenez et vous la gardez ». Céline s’accroche. « Je ne pensais qu’à elle et elle m’a énormément aidée. Pour elle, il fallait que je sois forte. » De son côté, Marie-Christine Jaillet n’a qu’une obsession, voir son fils, pour que « la mort devienne une réalité ». L’attente est longue. « Votre fils est mort et vous voyez une photo de lui, souriant, au JT. Je n’aurais pas pu accepter de ne pas le voir. »

Le président de la République, François Hollande, rend hommage aux trois militaires tués au Mali, Mickaël Poo-Sing, Damien Noblet et Mickaël Chauvin, aux Invalides, le 20 avril 2016.
Le président de la République, François Hollande, rend hommage aux trois militaires tués au Mali, Mickaël Poo-Sing, Damien Noblet et Mickaël Chauvin, aux Invalides, le 20 avril 2016. (MAXPPP)

Pendant les premiers jours du deuil, les familles sont prises dans le tourbillon protocolaire et son apogée, l’hommage de la nation aux Invalides. « C’est quelque chose qu’on leur doit, la reconnaissance de la Nation », estime Céline Noblet. « Les Invalides, c’est un haut lieu de mémoire, cet hommage fait entrer les soldats dans l’histoire de France », souligne Dominique Jacq. Ces quelques jours sont aussi épuisants, pour les familles.

Le plus dur, c’était de voir le cercueil revenir trop souvent : aux Invalides, à Angers avec ses frères d’armes, puis dans notre patelin. Trois fois de suite.Pascal Barbéà franceinfo

« Ce qui est perturbant, c’est que la mort du soldat ne vous appartient pas

, relève Dominique Jacq, c’est un fait d’actualité. Une fois que les obsèques privées se sont déroulées, le soufflé retombe et alors sa mort vous appartient ». Il ajoute : « C’est là qu’il faut être fort. »

Entretenir la mémoire du disparu

Chacun se réfugie où il le peut. Céline pratique l’EMDR, une méthode de psychothérapie, de plus en plus fréquente pour traiter le stress post-traumatique. « Pendant les six premiers mois, je tournais en boucle, avec des images dans la tête, puisqu’on n’a pas vu le lieu où il est mort, je ne pouvais pas non plus voir un uniforme, raconte la jeune femme. J’ai pratiqué cette technique pendant deux ou trois mois, cela a été violent, mais ça m’a permis d’arrêter de ressasser. » Marie-Christine Jaillet a trouvé, elle, un appui certain dans son travail et auprès de sa famille.

Pour toutes et tous, l’aide du régiment auquel appartenait leur proche a aussi été fondamentale. « Je me suis beaucoup rapprochée de ses camarades et de son chef de corps », raconte Dominique Jacq. « Je suis de la génération post-soixante-huitarde, de gauche, confie Marie-Christine Jaillet. Je me suis rendu compte de mes préjugés et j’ai révisé mon jugement, j’ai découvert la force d’une fraternité, ça m’a bouleversée. » Cette dernière trouve aussi, comme les autres parents, un réconfort certain, en voyant le nom de son fils fleurir dans des lieux symboliques : « Son nom est inscrit dans une rue de Toulouse où il a vécu, sur le monument aux morts de notre petit village du Lot, sur la base d’Orléans… »

Chaque année, les familles sont invitées aux commémorations du 11-Novembre et du 14-Juillet, mais aussi à un séminaire qui leur est réservé par l’armée. En entretenant la mémoire de leur enfant, frère ou époux mort au combat, ces familles trouvent un sens à la perte de leur proche. « Il faut témoigner, il faut parler », insiste Dominique Jacq.

C’est un devoir de mémoire, ne rien dire, c’est oublier. C’est un mort pour la France, il faut que la jeune génération sache ce que c’est.Dominique Jacqà franceinfo

Puiser dans le souvenir du disparu, aussi, pour continuer à avancer. Damien Noblet avait laissé des lettres à ses proches, dans l’hypothèse où il viendrait à mourir en mission. « Je me suis accrochée à une phrase qu’il disait dans sa lettre : ‘La vie continue’, dévoile Céline Noblet. Il voulait aussi cette formule comme épitaphe : ‘Liberté, égalité, fraternité, je suis mort pour ces mots, adieu les amis’. » Dominique Jacq a, lui, souhaité rester « debout, digne ». « Je reste fidèle à son engagement, cela m’aide à prolonger ce que mon fils a entamé », livre-t-il. « Son histoire ne s’est pas arrêtée le jour de son décès. »

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