La disruption monétaire est-elle pour demain ?

La disruption monétaire est-elle pour demain ?

L’éventuelle création par Facebook d’une cryptomonnaie, le Libra, a créé un choc au sein de la communauté monétaire.

Ce risque avait été pourtant soulevé par la CIA il y a plus de cinq ans dans le cadre de son rapport annuel sur les risques à moyen et long terme. La conclusion était alors sans appel : l’interdiction. En 2019, les gouvernements et les banques centrales ont décidé de ralentir autant que possible l’émergence de cette cryptomonnaie et d’instituer d’éventuels garde-fous. L’objectif est qu’elle soit non pas une monnaie mais un actif financier sans pouvoir monétaire.

La monnaie est un des instruments clef de la légitimité du pouvoir des Etats. L’expression « battre monnaie » traduit bien cet aspect régalien. Il est la suite logique de l’exercice du monopole de la force légitime. Jusqu’à maintenant, la création monétaire est de la responsabilité des banques centrales (droits d’émission, droit d’acheter de la dette) et des banques commerciales (à travers la production de crédits). Cette création est très encadrée et surveillée.

le Libra casserait le caractère national de la monnaie

Ces dernières années, la base monétaire a été multipliée par trois avec en parallèle l’achat de titres de dette publique par les banques centrales. Il s’agit d’un seigneuriage public.

La seconde localisation de la création monétaire est celle générée par les banques, en échange de la distribution de crédit. L’encours des crédits représente plus de 160 % du PIB. L’intrusion des GAFA pourrait remettre en cause le lien entre monnaie et territoire. Une monnaie a un cours légal au sein d’un territoire donné : les États-Unis pour le dollar, les États membres de la zone euro pour la monnaie européenne, etc.

La monnaie traduit peu ou prou la puissance de l’État ou des États qui en sont responsables. Elle est un instrument de politique économique et cela d’autant plus depuis la crise de 2008. En s’arrogeant un pouvoir monétaire, les GAFA priveraient les États d’une partie du seigneuriage. Ils concurrenceraient les banques sans être régulés. En outre, en se diffusant à leurs membres au-delà de toute frontière physique, le Libra casserait le caractère national de la monnaie.

Les États et les Banques Centrales s’opposent à ce que de nouveaux opérateurs privés (les GAFA) créent leur propre monnaie et bénéficient du seigneuriage, qui les priveraient donc d’une partie de leurs prérogatives, si ces opérateurs ne sont pas au moins autant régulés que les banques. Si certains imaginent que dans l’avenir il apparaîtra de nombreuses monnaies privées, offertes par exemple par les GAFA, il faut rappeler que le seigneuriage public est un des moyens dont disposent les États pour rester solvables.

Le modèle suisse pour le libra ?

Sous sa forme actuelle, Le Libra n’est pas une monnaie. Il constitue pour le moment un simple moyen de paiement. Tant que la totalité des sommes versées pour acheter des libra est mise en réserve, l’entité qui émet le Libra ne peut pas faire de prêts, et il n’y a pas création monétaire. Ceci rappelle la proposition «100 % monnaie»  faite en Suisse : si les banques avaient un taux de réserves obligatoires de 100 %, elles ne pourraient pas faire de crédit, donc créer de monnaie, puisque la totalité des dépôts devrait être mise en réserve.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

    Voir toutes les publications
Laisser un commentaire

Laisser un commentaire