La force des démocraties 

La force des démocraties 

La démocratie est l’art de la gestion des oppositions. En permanence, l’exécutif doit concilier des aspirations diverses et contradictoires en recherchant un minimum de consensus. En ces périodes troublées, marquées par une succession de crises, les gouvernements sont sur la corde raide et contraints sans cesse d’apporter des réponses simples à des problèmes d’une rare complexité. Le défi est d’autant plus difficile à relever que le système d’information généré par Internet pousse au manichéisme. 

Sur des sujets aussi clivants que la transition énergétique, l’immigration, la mondialisation ou le vieillissement, le relativisme n’est plus de mise sur les écrans de télévision comme sur les smartphones.

Les mêmes personnes peuvent exprimer, en un laps de temps réduit, des opinions diamétralement opposées

Face à la question environnementale, les positions des uns et des autres semblent de plus en plus irréconciliables. Certains souhaitent un changement de société. Ils demandent la réduction des voyages en avion, la diminution du nombre de voitures, la limitation des constructions ou la décroissance. D’autres estiment qu’ils n’ont pas à supporter les nuisances des mesures environnementales qui augmentent le prix des véhicules et des logements. Ils entendent bénéficier d’une progression de leur pouvoir d’achat et accéder à un logement confortable. Parfois, les mêmes personnes peuvent exprimer, en un laps de temps réduit, des opinions diamétralement opposées sur ce sujet, ce qui ne facilite pas le travail des pouvoirs publics. 

En matière d’immigration, le débat ne se limite pas à « pour » ou « contre » ni à la seule question sécuritaire. Avec le vieillissement démographique, les pays occidentaux sont confrontés à une baisse de leur population active. Or, les besoins en emplois sont en forte augmentation, en particulier dans les services. Sans apport de population, la croissance s’amoindrit. L’Italie en est la parfaite illustration. À travers les flux de personnes, l’immigration peut être une source d’enrichissement mutuel. Si les États-Unis ont une croissance supérieure à celle de l’Europe, c’est en partie en raison de l’accueil d’un grand nombre d’étrangers sur le territoire américain. 

Par ailleurs, l’immigration permet à l’Occident de contribuer au développement des pays les plus pauvres à travers les flux financiers dont elle est à l’origine.

La mondialisation est accusée d’avoir provoqué le déclin de l’industrie au sein des pays de l’OCDE, l’appauvrissement des classes moyennes et la dépendance des pays occidentaux à la Chine. Ces rapides allégations sont loin d’être toutes vérifiées. L’Allemagne, les Pays-Bas ou même l’Italie ont réussi à conserver leur industrie à la différence de la France, du Royaume-Uni ou des États-Unis. Si la balance commerciale de la France est déficitaire depuis vingt ans, celle de l’Allemagne et celle des Pays-Bas ont été excédentaires de plusieurs points de PIB.

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Manifestation à Paris contre la réforme des retraites-2023 © AP-Michel Euler

En limitant les échanges avec les pays émergents et en développement, l’Occident freine leur essor

Au nom du souverainisme économique, le recours au protectionnisme apparaît de plus en plus comme la solution. Or, il a été dans le passé synonyme de déclin. La baisse du commerce international constatée depuis deux ans érode déjà la croissance. En limitant les échanges avec les pays émergents et en développement, l’Occident freine leur essor, d’autant plus que leur population est encore en augmentation. 

Le vieillissement est également une source de tensions au sein des populations, les intérêts particuliers entrant en conflit avec l’intérêt général. Une large partie de la population aspire à partir tôt à la retraite quand les équilibres économiques et budgétaires peuvent justifier de reporter l’âge de liquidation des droits. 80 % des Français indiquent souhaiter partir à la retraite à 62 ans ou avant. Mais, dans le même temps, ils sont 43 % à penser qu’ils ne cesseront leurs activités professionnelles qu’après 65 ans. Si le départ précoce est plébiscité, il n’empêche pas les Français de déplorer les déserts médicaux, le manque de personnel dans les services, etc. 

Les appels au référendum sont de plus en plus nombreux

Comment la démocratie peut-elle dénouer tous ces problèmes ? L’appel à la souveraineté populaire apparaît comme une solution naturelle. Raymond Aron considérait que ces deux mots étaient « obscurs ». Pour autant, les appels au référendum sont, actuellement de plus en plus nombreux. Si en 1958, le Général de Gaulle avait demandé aux Français de se prononcer sur la fin du protectionnisme prévue dans le cadre de l’adhésion à l’époque à la Communauté Économique Européenne, il n’est pas certain qu’il aurait obtenu une majorité en sa faveur. Il en aurait été de même, pour François Mitterrand, en 1981 pour la suppression de la peine de mort. A contrario, l’utilisation du référendum sur le Traité Constitutionnel Européen a débouché sur une totale incompréhension au sein d’une partie de la population française. Le rejet du traité sur fond de fausses informations sur le fameux plombier polonais s’est suivi de la signature par les gouvernements européens du traité de Lisbonne laissant croire qu’ils remettaient en cause le vote populaire. Or, ce dernier ne signifiait en aucun cas la sortie ou l’arrêt de la construction européenne. Tel n’était pas l’objet du référendum. 

Si la Suisse, pays de nature fédérale, recourt aux votations pour trancher des sujets difficiles, ce n’est pas sans donner, parfois, lieu à des numéros de funambules. Ainsi, il y a quelques années, les Suisses ont voté contre l’immigration. Or, sans elle, le pays ne pourrait pas fonctionner. Rapidement, des dispositions ont été prises pour contourner la décision des électeurs.

La démocratie peut faire preuve de fragilité, au long cours, elle apparaît bien plus efficace que tous les autres régimes

Fréquemment, les électeurs se prononcent non pas sur la question posée par le référendum mais pour ou contre le pouvoir en place. Le Brexit en 2016 au Royaume-Uni est la conséquence d’une opération machiavélique qui s’est retournée comme son auteur, David Cameron, qui pour faciliter sa reconduction comme Premier Ministre avait promis aux électeurs un référendum sur l’Europe. Il espérait le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne mais fut débordé par les opposants qui firent preuve d’une démagogie sans limites pour faire triompher le Non. 

Au-delà de l’organisation d’une concurrence supposée pacifique pour accéder au pouvoir, la démocratie repose sur le respect de l’état de droit et des contrats implicites et explicites liant les citoyens entre eux et à l’État. Elle a comme objectif la régulation des excès et des passions de toute nature, ce qui rend son mode de décision plus terne, moins flamboyant que d’autres régimes. En période de crises, des responsables peuvent vouloir contrevenir à ce modèle en faisant preuve de césarisme ou de populisme. 

La gestion des dossiers par les institutions démocratiques est souvent chaotique mais, pas à pas, des avancées ont lieu. Si au quotidien, la démocratie est une source de frustrations et peut faire preuve de fragilité, au long cours, elle apparaît bien plus efficace que tous les autres régimes en protégeant les individus de l’arbitraire. 

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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