La France, pavillon haut, mais battue par les flots.

La France, pavillon haut, mais battue par les flots.

L’avenir de la France est sur les flots. Logique : la mer est l’avenir de l’humanité. La France a le deuxième domaine maritime mondial, pour moitié grâce à la Polynésie, qui ambitionne la création d’une aire marine protégée de plus de 500 000 km², presque la taille de l’Hexagone. 10,5 millions de kilomètres carrés d’océans, immense domaine inconnu, dont on revendique la grandeur sans mesurer l’effort qu’il mérite. Certains rêvent tout haut d’un destin audacieux qui ferait de la France, grâce à la mer, la première puissance économique mondiale.

© Belin Education 2020

L’idée que la France doit devenir une puissance maritime revient régulièrement 

Tout est possible. Rien ne disait qu’Athènes ou Rome formeraient des empires, ni que Singapour, Dubaï ou Hong Kong, jolis petits ports de pêche, cultiveraient les dollars. Si le monde parle anglais plutôt que français, c’est à la marine anglaise qu’il le doit, pas à Shakespeare. La Chine cherche à élargir son contrôle en mer, triple sa marine. La Russie étouffe depuis toujours en ses terres et rêve d’arctique, son grand large. Ce mois-ci l’une et l’autre ont revendiqué des espaces maritimes. 

L’idée que la France doit devenir une puissance maritime revient régulièrement. La marine nationale, même si elle a perdu des navires (78 en 2010, 71 aujourd’hui) et des marins (46.000 en 2010, 38.000 aujourd’hui), reste une des principales forces maritimes de la planète, avec celles des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la Chine. Elle est une des seules à combiner porte-avions et sous-marins nucléaires. Mais la Marine nationale n’est que le résultat d’un appétit de mer.    

Le One Ocean Summit, convoqué à Brest en février dernier, a affiché une belle ambition internationale : protéger les océans, lutter contre la pollution plastique, cartographier les fonds marins, multiplier les aires maritimes protégées, lutter contre la pêche illégale, imaginer un traité international pour la haute mer. Tous ces thèmes ont été repris à Lisbonne en juin lors de la Conférence sur les Océans de l’ONU.

Montrer l’exemple

Avec raison : l’accumulation des menaces sur l’océan est impressionnante. Au rythme actuel, la pollution plastique va tripler d’ici 2060, à un milliard de tonnes par an, selon l’OCDE. Un tiers des poissons sauvages sont victimes de surpêche, moins de 10 % de l’océan est protégé. Une centaine de pays s’accorderaient à déclarer des zones de protection couvrant 30 % des océans.  Il y a urgence. La France tente de coaliser les petits contre les grands, notamment la Chine, qui agit en la matière plus en pirate qu’en défenseur du « multilatéral », comme elle aime à se présenter.

Bateau de pêche français

La France veut montrer l’exemple : 60% de la Méditerranée française est en aire marine protégée. Mais avec quelle protection ? La Méditerranée est en danger, y compris en France.

L’économie bleue est l’avenir de l’écologie, de la mer, et de l’économie.  

Là encore, une ambition maritime n’est pas qu’un vœu de protection. Elle dépend du poids du pays dans l’activité marine. Il y aura protection s’il y a surveillance. Et surveillance s’il y a intérêt à protéger, à mettre en valeur. L’économie bleue est l’avenir de l’écologie, de la mer, et de l’économie. 

Il y a bien sûr tout le volet de l’exploitation des fonds marins. Elle peut être prédatrice, comme la pêche internationale actuelle, ou protectrice. C’est l’enjeu des négociations internationales – aujourd’hui en échec- qui ont déjà conduit à la création de l’Autorité Internationale des Fonds Marins (AIFM) en 1994. Celle-ci délivre des contrats d’exploration et d’exploitation des grands fonds marins. La France a obtenu 2 contrats d’exploration sur les 31 accordés jusqu’ici. Le Plan France Stratégie 2030 prévoit 300 millions pour le volet « grands fonds ». Personne ne connait ni les conditions ni les dommages, ni la rentabilité de leur exploitation. D’où l’importance d’être parmi les premiers : ceux qui seront à la table pour décider des règles.

Il y a toute la recherche biomarine, utile aux labos, ceux de la pharmacie ou de l’industrie ; et celle de l’énergie marine : utiliser la différence de température entre la surface et l’eau profonde promet une source d’énergie inépuisable. 

Mais pour commencer, il faut aller sur l’eau. Avoir des bateaux, des ports, une culture de la mer. Près de 380 000 personnes vivent, en France des métiers de la mer. Beaucoup trop peu.

Aucun port français dans les 50 premiers ports mondiaux.  

L’aquaculture est née en France. Les chantiers navals français, civils ou militaires, sont parmi les meilleurs du monde. Le groupe français CMA-CGM est un des trois premiers opérateurs maritimes. Formidables atouts, à condition d’en faire quelque chose, et de commencer par le début : avoir des ports. Peut-on être une puissance maritime sans ports ?

Sur les dix premiers ports mondiaux, tous sont en Asie, principalement en Chine. Le premier port américain (Los Angeles) n’arrive qu’à la 17ème place. En Europe, sept ports seulement se trouvent dans le top 50. En 2002, Rotterdam était le premier port mondial, il a reculé à la 10ème place. Suivent Anvers (14ème), Hambourg (17ème), le Pirée (28ème), Valence (30ème), Algesiras (34ème) et Bremerhaven (36ème). Aucun port français.

La France derrière la Grèce et le Maroc, très loin derrière l’Allemagne

Alors qu’elle est le cinquième acteur en volume du commerce mondial, la France est à la traîne. Tous les ports français confondus ne représentent que 5 millions de TEU, l’unité de mesure des conteneurs. Moins que la Grèce (5.7), le Maroc (7M), l’Italie, (9.8), la Belgique (14), les Pays-Bas (14.5), l’Espagne (17), l’Allemagne (18). Ne parlons pas de la Chine : 245 Millions, des Etats-Unis, 53, de Singapour, 36, ou de la Corée, 28 millions. La France est un nain maritime pour ses ports. Et la faute lui revient entièrement : le port de Lyon est… Rotterdam. Les ports français sont mal classés, en quantité et en qualité, ceci expliquant cela. 

La Banque mondiale a publié un Indice mondial de performance des Ports à conteneurs, qui compare 370 ports à conteneurs du monde. L’indice est basé sur le temps que les navires doivent passer au port, et la qualité des services. Seulement deux ports français ont été intégrés au classement : Le Havre, à la 292ème place, et Marseille-Fos, 315ème.

Est-il possible de cultiver la mer sans avoir les meilleurs ports du monde ? 

Les « grands » ports français sont gérés par l’Etat. Dunkerque, Le Havre, Rouen, Nantes Saint-Nazaire, La Rochelle, Bordeaux, Marseille traitent plus de 80% du trafic maritime de marchandises. Le plan France Relance prévoit 200 millions d’investissements. Nécessaire, sans doute. Mais est-ce seulement un problème d’investissements ? N’est-ce pas plutôt une question d’organisation, de bureaucratie, de contraintes ? Ne faudrait-il pas désensabler les ports ? Les relier aux territoires, au rail ? Changer leur mode de gestion ? 

La maîtrise des circuits d’importations et d’exportations passe par les ports. Retrouver une part significative dans le commerce mondial permet de rester dans la course. Viser l’excellence des ports est le premier geste pour cultiver la mer et accomplir des miracles bien plus profonds, comme marcher sur l’eau, voire sous l’eau. 

Auteur/Autrice

  • Alain Stéphane a posé ses valises en Allemagne à la suite d'un coup de foudre. Aujourd'hui, il travaille comme rédacteur dans un journal local en Saxe et est correspond du site Lesfrancais.press

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