La longue marche vers le budget fédéral de la zone euro

La longue marche vers le budget fédéral de la zone euro

La zone euro n’est pas un État, ni même un sous-ensemble juridique de l’Union européenne. Au moment de la signature du Traité de Maastricht, il était prévu que tous les États membres de l’Union finissent par rejoindre la zone monétaire commune à court ou moyen terme. L’intégration devait se faire à partir du moment où les conditions d’adhésion étaient remplies (inflation, taux, déficit et dette). Rapidement, le Royaume-Uni avait fait comprendre qu’il ne saurait y avoir d’automatisme en la matière. 

Si la question ne se pose plus pour ce pays désormais en-dehors de l’Union, il en est autrement pour la République Tchèque, la Suède ou la Pologne. Plus ou moins explicitement, ces pays ont indiqué préférer rester en-dehors. La zone euro n’avait pas vocation à être dotée d’un budget. Elle devait être temporaire. 

Par ailleurs, lors des négociations pour le Traité de Maastricht, l’Allemagne avait imposé que les États membres soient responsables individuellement de l’euro. À ce titre, ils doivent veiller, par leur politique budgétaire, à la pérennité de la monnaie et cela même au prix de leur croissance. L’Allemagne ne voulait pas être contrainte de soutenir des pays en difficulté. Ce refus de toute politique de soutien conjoncturel était le prix à payer pour l’abandon du mark. Le seul mécanisme à consonance fédérale était la politique de développement régional (FEDER) qui, avec les élargissements réalisés dans les années 1990/2000, intéressa avant tout les pays d’Europe de l’Est. 

Les États membres de la zone euro perdaient ainsi leur pouvoir de jouer sur la valeur de leur monnaie et sur les taux d’intérêt tout en étant tenus de respecter un cadre budgétaire contrôlé par l’Union européenne. Ce système n’a jamais réellement fonctionné. Les Allemands ont été les premiers à s’en affranchir en raison de la réunification qui entraîna une forte augmentation du déficit public au niveau national.

La crise sanitaire a changé la donne 

La crise grecque en 2011/2012 a démontré la fragilité du système en cas de choc qui frappe plus particulièrement un des États membres. Si cette crise permit la création d’outils financiers comme le Mécanisme Européen de Stabilité Financière, elle n’entraîna pas d’avancées en matière d’aides directes non conditionnées. Les Grecs durent se plier à un plan d’assainissement en contrepartie de l’octroi de prêts. 

La crise sanitaire de la Covid-19 a changé la donne par son ampleur. Les États membres ont accepté l’élaboration d’un plan de relance dont les crédits seront alloués non pas en fonction de leur PIB mais en fonction de leur situation économique. L’emprunt associé à ce plan relevant de l’échelon communautaire, son remboursement sera réalisé par l’Union et devrait être unique.

La divergence des économies européennes pourrait être un terreau de scission 

Il n’en demeure pas moins qu’il constitue un précédent de nature fédérale. Si la pandémie a vocation à rester un évènement exceptionnel, la question est de savoir si la zone euro peut se développer sans instrument de correction des inégalités économiques au sein de son territoire. Les asymétries économiques entre les pays de la zone euro sont de nature structurelle et non cyclique. Des outils de transferts permanents entre les pays semblent s’imposer. Le mécanisme d’assurance institué avec la crise grecque ne saurait résoudre les divergences des économies européennes, divergences qui pourraient à terme être un terreau de scission. 

Dans un système idéal, quand un pays a une activité inférieure à celle des autres pays de l’Union Monétaire, il bénéficie de la possibilité d’exporter davantage vers ces derniers, permettant un rééquilibrage de l’activité. L’amélioration de la compétitivité passe par une réduction des dépenses publiques et par une maîtrise des coûts salariaux. Cela suppose que les pays soient proches en termes de structures économiques et que les populations soient prêtes à supporter des politiques de rigueur. 

Du fait de spécialisations productives différentes, les processus de rééquilibrage automatique sont inopérants au sein de la zone euro. Le poids de la valeur ajoutée industrielle atteint 20 % du PIB en Allemagne, 16 % en Italie, 12 % en Espagne, 11 % en France et 8 % en Grèce. Avant la crise sanitaire, le solde commercial du tourisme représentait 8 % du PIB en Grèce, 6 % au Portugal, 4 % en Espagne et 1 % en France. En Allemagne, ce solde était négatif de 1,5 point de PIB. 

Depuis l’introduction de la monnaie commune, les salaires ont augmenté plus vite dans l’Europe du Sud, excepté en Italie, qu’en Allemagne. Ils ont progressé de 70 % en Espagne et 60 % en France, contre 50 % en Allemagne. Le salaire nominal progressait en Italie au même rythme que la France jusqu’en 2011. Depuis, un décrochage est intervenu, au point que sa progression est désormais sur vingt ans inférieure à celle de l’Allemagne.

Salaires, recherche, formation : décrochages en série. 

La spécialisation divergente des économies se manifeste également par des dépenses totales en R&D différentes. L’Allemagne dépense de 40 à 100 % de plus que la France, l’Italie ou l’Espagne. Si ces trois derniers ont des ratios (nombre de robots pour 100 emplois manufacturiers) assez proches, autour de 2, le taux allemand atteint 3. Un décrochage est également constaté en matière de niveau de formation des salariés. Le score de l’enquête PIAAC de l’OCDE est de 271 pour l’Allemagne contre 258 pour la France et 248 pour l’Italie comme pour l’Espagne. 

Cette asymétrie se traduit par un écart croissant entre les États membres en matière de PIB par habitant. En 2020, l’écart s’élevait à 60 % pour la Grèce contre 50 % en 1999. Pour la France, les taux respectifs sont 20 et 10 % et, pour l’Espagne, 30 et 20 %. 

Si une réduction des écarts était constatée entre 1999 et 2007, depuis, ils se sont accrus sauf pour l’Espagne qui a bénéficié d’une croissance soutenue de 2013 à 2019. 

Une grande partie de la convergence de la première décennie du siècle avait été rendue possible par un transfert des excédents commerciaux des États d’Europe du Nord vers le Sud sous la forme d’emprunts. L’arrêt de ce mode de recyclage après la crise grecque s’est traduit par la généralisation des politiques de rigueur de 2012 jusqu’en 2016.

Le Plan de relance ne réduira pas les écart de richesse 

Le Plan de Relance (Next Generation EU) décidé en 2020, sous couvert d’un mécanisme d’endettement, réinstitue un mécanisme de solidarité financière entre les États membres. Compte tenu des forces centrifuges qui animent les économies européennes, il ne saurait suffire à réduire les écarts de richesse. 

D’autres mécanismes de transferts devraient être institués, ce qui suppose de nouvelles avancées de nature fédérale. L’instauration d’une couverture chômage au niveau européen serait un outil de transfert important en cas de choc asymétrique, les pays en situation de plein emploi finançant ceux qui seraient  confrontés à un fort taux de chômage. 

L’instauration d’un étage européen de Sécurité sociale faciliterait le règlement de plusieurs problèmes, notamment celui des travailleurs détachés. Un taux minimal de cotisations pourrait être institué à l’échelle européenne, un peu sur le même modèle que l’impôt mondial sur les bénéfices qui a été entériné par le G20.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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