L’art difficile de la prévision

L’art difficile de la prévision

Prédire le taux de croissance à trois, six, douze ou vingt-quatre mois relève bien souvent de l’art divinatoire, même si les économistes recourent à des modèles de plus en plus sophistiqués. Les prévisions sont réalisées « toutes choses étant égales par ailleurs », en prenant en compte les données du passé et en extrapolant des tendances. Le problème est que la vie économique est pleine d’aléas. « Prévoir est un art difficile, surtout en ce qui concerne l’avenir », disait Pierre Dac.

Selon la lauréate du prix Nobel d’économie Esther Duflo, se fondant sur des calculs réalisés par l’hebdomadaire The Economist, l’écart d’erreur du FMI sur le taux de croissance du PIB entre 2000 et 2014 a atteint 2,8 points à deux ans. L’économiste souligne dans son livre coécrit avec Abhijit V. Banerjee, « Économie utile pour des temps difficiles », que l’art de la prévision économique a peu d’intérêt. Elle insiste, à juste titre, sur le fait que « le monde est si incertain et si compliqué, que ce que les économistes ont de plus précieux à partager n’est pas leur conclusion mais le chemin qu’ils empruntent pour y parvenir ». Les deux auteurs mentionnent que l’économie, comme la physique, doit admettre le doute et récuser les certitudes absolues. Avec humour, ils admettent que bien souvent, les économistes ne sont pas « des physiciens », mais plutôt « des plombiers » qui « résolvent les problèmes par un mélange d’intuition basée sur la science, de conjectures fondées sur l’expérience, et d’une bonne dose d’essais et d’erreurs ».

Un divorce ancien entre les conjoncturistes et l’opinion publique

Les économistes tendent à être en moyenne plus optimistes que le reste de la population. Certains, cependant, se rangent du côté des pythies de mauvais augure après une cruelle expérience. En matière d’économie, il existe un divorce ancien entre les conjoncturistes et l’opinion publique. Cette dernière ne croit guère aux analyses économiques et aux statistiques. Même en période de croissance, rares sont ceux qui considèrent que la situation leur est favorable.

En 2023 et 2024, la population américaine estime que la situation économique s’est dégradée par rapport à la période précédant la crise sanitaire, alors même que le PIB et le pouvoir d’achat ont augmenté. Il en est de même en France. La population est plus sensible aux augmentations de prix qu’à leur baisse.

Ces dernières années, les erreurs de prévision sont légion car les aléas sont nombreux. En 2008, peu d’économistes avaient pronostiqué la crise des subprimes, la plus importante depuis 1929. De même, la crise des dettes souveraines en Europe n’avait pas été anticipée. Les statistiques faussées de la Grèce ont créé un voile empêchant de percevoir les défaillances de l’économie de ce pays. Ni l’épidémie de Covid, ni la guerre en Ukraine en 2022, malgré certains signaux annonciateurs, n’ont été anticipées.

Les prévisions économiques, qu’elles soient nationales ou internationales (FMI, Banque mondiale, OCDE, Union européenne), peuvent influencer les politiques économiques des États et les réactions des investisseurs. En 1997, une note de la Direction de la Prévision du Ministère de l’Économie, en France, soulignait qu’un risque de fort ralentissement de la croissance était possible en 1998. Cette note a incité le Président de la République à anticiper les élections législatives. Or, nulle récession n’est survenue, bien au contraire, la croissance s’est accélérée.

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L’optimisme excessif des économistes favoriserait les crises financières.

En matière d’endettement, les écarts de prévision ne sont pas sans conséquence. Une surestimation erronée de 0,5 point du taux de croissance sur vingt ans peut provoquer le quasi-doublement du poids de la dette publique au sein du PIB (une dette de 50 % du PIB en année 1 passe à 90 % en année 20).

Selon une étude de Paul Beaudry de l’Université de la Colombie Britannique et de Tim Willems du FMI, l’optimisme excessif des économistes favoriserait les crises financières. Ils constatent qu’une croissance annuelle moyenne surestimée d’un point de pourcentage sur trois ans, comme le fait le FMI dans 40 % des cas, réduit la croissance trois ans plus tard d’un point de pourcentage. L’optimisme ne semble donc pas payer.

En août 2024, la simple publication du rapport sur l’emploi du mois de juillet aux États-Unis a conduit les investisseurs à une révision brutale de leurs prévisions. Ils ont estimé que la première puissance économique mondiale se dirigeait vers une récession, bien que la croissance en rythme annuel ait atteint 2,8 % au deuxième trimestre 2024. Cette crainte a provoqué la chute des indices boursiers. Cette réaction peut sembler exagérée.

Depuis la crise des subprimes, périodiquement, les investisseurs croient à la survenue d’une récession ; or, en règle générale, ils sont démentis par les faits. Un examen des dernières données suggère que l’économie américaine n’est pas en danger.

Le taux de chômage américain est passé de 3,4 % en avril 2023 à 4,3 % en juillet 2024. Les expériences passées suggèrent qu’une augmentation de cette ampleur est prémonitoire d’une récession. En effet, une hausse du chômage signifie une baisse de la production et des revenus. Cette corrélation pourrait ne pas se vérifier. La hausse du chômage intervient alors que les marchés de l’emploi étaient sous pression, avec de nombreux secteurs confrontés à des pénuries de main-d’œuvre. Depuis quelques mois, les entreprises peuvent sélectionner un peu plus leurs salariés.

Le taux d’activité au sein de l’OCDE atteint des niveaux jamais vus.

Les gains de productivité, qui avaient disparu entre 2020 et 2023, tendent à revenir, ce qui permet de maintenir, voire d’accroître la production. La progression du taux de chômage ne s’accompagne pas de destructions d’emplois. Au cours du dernier trimestre, l’emploi a augmenté de 0,8 % en Australie et de 0,6 % au Canada. La hausse du chômage est avant tout provoquée par l’arrivée de nouvelles personnes sur le marché du travail.

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Le taux d’activité au sein de l’OCDE atteint des niveaux jamais vus. Preuve de la vitalité de l’économie américaine, les entreprises réalisent des profits en hausse. Selon une étude de la Deutsche Bank, au premier trimestre de cette année, la croissance des bénéfices reste à son plus haut niveau depuis sept trimestres. Sur un an, les bénéfices des entreprises américaines ont progressé de plus de 10 %. De nombreux indicateurs américains et mondiaux témoignent non pas d’un ralentissement mais d’une accélération de la croissance. L’indicateur de la Banque fédérale de réserve de Dallas, qui suit de manière hebdomadaire l’activité économique américaine, ne montre que peu de signes de faiblesse. L’indice composite mondial des directeurs d’achats (PMI) reste solide. L’indicateur d’activité réalisé par la banque Goldman Sachs semble prouver une amélioration de la situation de l’économie mondiale. Seuls deux pays pourraient connaître un ralentissement : l’Autriche et la France.

Les craintes des investisseurs et des analystes peuvent être autoréalisatrices : c’est leur principal danger. 

L’inflation est en baisse dans de nombreux États. Après avoir atteint 10 % fin 2022, elle se rapproche de la cible des 2 %. En juin, les prix au sein de l’OCDE ont augmenté de 2,6 % sur un an. Un quart des pays de l’OCDE ont désormais une inflation inférieure à 2 %. Les craintes des investisseurs et des analystes peuvent être autoréalisatrices ; c’est leur principal danger. La baisse des cours des marchés actions pourrait conduire les ménages et les entreprises aux États-Unis à opter pour l’attentisme. Celui-ci conduirait à une réduction des dépenses de consommation et au report des projets d’investissement. Les incertitudes électorales pourraient également favoriser un tel scénario aux États-Unis. Mais au-delà de ces considérations, toutes choses étant égales par ailleurs, l’économie mondiale se porte mieux en cette fin d’été 2024 que l’année dernière.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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