Le défi qualitatif de l’enseignement supérieur en France

Le défi qualitatif de l’enseignement supérieur en France

En 2020, selon l’OCDE, en France, 49 % des 25-34 ans sont diplômés de l’enseignement supérieur, dont 14 % du supérieur court (niveau Bac +2) et 35 % du supérieur long (Bac +3 et plus). Dans les années 1990 et 2000, la France a rattrapé son retard en la matière.

Au sein de l’Union européenne, 46 % des 25-34 ans sont diplômés de l’enseignement supérieur ; aux États-Unis, ce taux est de 50 %. La proportion de diplômés « supérieur long » est, en revanche, plus élevée au sein de l’Union Européenne (40 % en moyenne).

Réalisée en quelques années, la massification de l’enseignement supérieur s’accompagne d’un taux d’échec élevé pour l’obtention d’un diplôme. Par ailleurs, faute d’une réelle sélectivité, les jeunes suivent des études aux débouchés parfois incertains et n’aboutissant pas sur des situations professionnelles enrichissantes. De nombreuses inégalités existent entre les étudiants en fonction des filières choisies.

Une massification de l’enseignement supérieur à la recherche de la qualité

En 1960, la France ne comptait que 310 000 étudiants, contre 2,8 millions en 2020. Cette massification est liée à la montée en puissance à compter des années 1990 du nombre de bacheliers. De ce fait, il y a une véritable rupture entre les générations. Si 32 % des personnes âgées de 55 à 64 ans ne sont pas ou très peu diplômées (avec un diplôme correspondant au maximum au brevet des collèges), ce taux n’est plus que de 13 % parmi les 25-34 ans. La part des bacheliers passe de 37 % parmi les plus âgés à 69 % parmi les plus jeunes.

Depuis les années 1990, une augmentation du nombre annuel de diplômes décernés à tous les niveaux de l’enseignement supérieur est constatée à l’exception des DUT (depuis 2000) et des doctorats. Cette augmentation a d’abord concerné les diplômes de premier cycle (en particulier BTS et licence dont le nombre a augmenté de 150 % sur la période). Elle est plus forte pour les diplômes de niveau master, et les grandes écoles dont le nombre a, respectivement, triplé et doublé en 30 ans.

Plus d’étudiants, moins de professeurs

En 2018, les dépenses allouées à l’enseignement supérieur en France s’élevaient à environ 1,2 % du PIB pour la part publique et à 1,5 % en ajoutant la part privée selon l’OCDE.

La France se situe en la matière dans la moyenne des principaux pays européens. Elle dépense en revanche moins que les pays nordiques comme la Norvège ou le Danemark où la part des dépenses publiques s’élève respectivement à 1,8 et 1,5 % du PIB.

En matière de dépenses totales d’enseignement supérieur rapportées aux effectifs d’étudiants, une baisse tendancielle s’est amorcée depuis les années 2010. La baisse des dépenses est plus marquée pour les étudiants à l’université. Si les effectifs étudiants ont augmenté de 20 % à l’université entre 2010 et 2020, le nombre d’enseignants a diminué de 2 %.

Le diplôme, un atout pour des revenus plus élevés

L’obtention d’une formation de qualité et de haut niveau est une garantie pour l’emploi et pour l’accession à des revenus plus élevés. Selon l’INSEE, à 30 ans, les individus ayant étudié plus de deux années après le baccalauréat ont un salaire d’environ 35 à 40% plus élevé que les titulaires du baccalauréat que ce soit pour les générations nées en 1950 ou celles nées en 1980.

Selon une étude de l’OCDE, en France, parmi les personnes âgées de 25 à 64 ans travaillant à temps complet, le revenu des titulaires d’une licence est de 36 % plus élevé que celui des personnes n’ayant que le baccalauréat (toutes sections confondues). Cet écart correspond à l’écart moyen observé dans l’Union européenne ; il est beaucoup plus faible (6 %) en Norvège et beaucoup plus fort (66 %) aux États-Unis.

Une étude1 sur les données américaines a comparé des jeunes situés juste en-dessous et juste au-dessus des seuils d’admission à une université publique et a prouvé qu’une année supplémentaire d’études supérieures provoque une hausse de 11 % des revenus.

Selon les travaux du Conseil d’Analyse Économique, une année supplémentaire d’enseignement supérieur générait 5 à 15 % de revenus en plus.

Si l’obtention d’un diplôme est un gage d’un revenu supérieur lors de la vie professionnelle, ce gain est fonction de la spécialité choisie par l’étudiant. Un diplôme de sciences (sciences physiques, informatique, mathématiques, ingénierie) est associé à un salaire 15 à 30 % plus élevé en moyenne qu’un diplôme de même niveau en sciences humaines et sociales. Les élèves de grandes écoles arrivent en tête en matière de revenus mais pour un coût d’études plus élevé que la moyenne.

Les diplômes spécialisés dans les domaines des mathématiques, ingénierie, sciences et techniques de l’information et de la communication sont plus rémunérateurs que les diplômes équivalents en sciences de la matière et du vivant, pour des coûts relativement similaires.

En termes d’efficience, il convient de souligner que les IUT arrivent en tête en raison d’un taux de réussite élevé, 68 % des étudiants ont leur diplôme, contre 29 % pour la licence.

Les études et espérance de vie, une corrélation

Plusieurs études ont également démontré que l’éducation entraînait une hausse des indicateurs de santé et d’espérance de vie, ce qui se répercute sur le bien-être et la satisfaction dans la vie. Un nombre élevé d’étudiants crée des externalités positives. Il favorise la diffusion du progrès technique et l’innovation.

Il y a un lien direct entre le niveau de compétences et la croissance potentielle d’un pays. Une étude2 sur l’ensemble des régions européennes entre 1950 et 2010 a souligné qu’une augmentation de 10 % du nombre d’universités dans une région donnée a augmenté le PIB par tête de 0,4 % dans cette même région.

La hausse de la productivité générée par une population plus diplômée permet également d’assurer la croissance des salaires pour tous. Un nombre plus élevé de diplômés améliore également les rentrées fiscales en lien avec l’augmentation des revenus. Il conduit à une compétitivité accrue et donc sur de potentiels excédents commerciaux.

Pour le Conseil d’Analyse Économique, les dépenses d’enseignement supérieur s’autofinanceraient.

Les étudiants pas tous égaux

L’accès à l’enseignement supérieur est près de trois fois plus fréquent chez les jeunes de milieu aisé que pour ceux dont les parents figurent parmi les plus modestes : parmi les 20 % les moins aisés, environ 1 jeune sur 3 est inscrit ou a été inscrit dans un cursus de l’enseignement supérieur, contre 9 jeunes sur 10 parmi les 10 % les plus aisés.

5 % des jeunes dont les parents font partie des 50 % les moins aisés accèdent aux classes préparatoires, aux études de médecine, aux grandes écoles et doctorats contre 30 % des jeunes dont les parents appartiennent au dernier décile. 80 % des jeunes dont les parents appartiennent au dernier décile de revenu envisagent d’obtenir un diplôme de master ou un doctorat, contre moins d’un jeune sur trois parmi ceux dont les parents sont les moins aisés.

La France se caractérise par un taux d’échec important dans l’enseignement supérieur. Cette situation concerne en premier les bacheliers professionnels. Le taux d’obtention de la licence en trois ou quatre ans n’est que de 16 % pour les détenteurs de baccalauréats technologiques et de 6 % pour les bacheliers professionnels.

Young students of chemistry working together in laboratory

La dépense par étudiant diffère en fonction des filières

D’après les chiffres du Compte de l’éducation du ministère de l’Education nationale, la dépense par étudiant en France s’élevait, en moyenne, à 11 530 euros en 2019, avec des disparités entre les types de formation. Elle est de 10 110 euros à l’université, de 14 270 euros pour les sections de techniciens supérieurs et de 15 710 euros pour les classes préparatoires aux grandes écoles. Ces données reflètent imparfaitement la dépense par étudiant car elles englobent les dépenses liées à la recherche, à l’organisation du système éducatif, et la plupart des aides financières directes et indirectes octroyées aux étudiants.

Le Conseil d’Analyse Économique a retraité les statistiques du Ministère de l’Education Nationale pour déterminer les coûts réels de formation. Ils s’élèveraient en moyenne à 5 250 euros par an et par étudiant. Ce coût moyen annuel varierait de 3 700 euros pour une année de licence à près de 13 400 pour une année en classe préparatoire soit un rapport de 1 à 4. Les disparités entre spécialités sont marquées, allant d’un coût moyen annuel de 3 100 euros dans le domaine « normes et institutions » à 8 700 euros dans le domaine « maths, informatique, sciences de l’ingénieur ». En conjuguant la durée de la formation (sans redoublement) et le coût annuel selon le niveau et la spécialité du diplôme, les disparités d’investissement total entre différentes formations sont très importantes, 11 000 euros pour une licence en langues étrangères, 15 700 euros pour un master en droit, plus de 31 000 euros pour un master en informatique et près de 60 000 euros pour un diplôme d’ingénieur. Les écarts de coûts s’expliquent par le poids des rémunérations de personnels.

Le niveau d’encadrement diffère selon les filières. Il y a 3,5 enseignants-chercheurs pour 100 étudiants en licence contre 8,9 en DUT et 9 dans les écoles d’ingénieurs, soit un taux d’encadrement plus de deux fois supérieur. Concernant la somme de toutes les heures de cours pour l’ensemble des enseignants rapportée au nombre d’étudiants, le ratio est de 16 heures par étudiant en licence contre plus de 40 en DUT.

Révolution quantitative

En une trentaine d’années, la France a réalisé une révolution quantitative de grande ampleur en permettant à une majorité des jeunes d’effectuer des études supérieures. Cette mutation ne s’est pas accompagnée d’une réorganisation de l’enseignement supérieur et notamment des universités qui ont dû gérer l’afflux d’un grand nombre d’étudiants.

Le manque d’investissement et d’encadrement a conduit au maintien d’un fort taux d’échec dans l’obtention des diplômes. L’absence de sélection à l’entrée à l’université ne facilite par l’orientation des étudiants en fonction de leurs compétences. Cette absence qui est devenue un principe intangible a pour corollaire l’existence de filières très sélectives représentées notamment par les grandes écoles. Ce système dual aboutit au maintien d’importantes inégalités.

La tentation de la banalisation des grandes écoles revient périodiquement au cœur des débats. Sciences Po a ainsi supprimé les épreuves de culture générale et a mis un terme à ses examens écrits à l’entrée. Par ailleurs, un dispositif de discrimination positive a été institué pour favoriser l’accès à l’école de jeunes issus des quartiers en difficulté. L’autre solution proposée est de transformer les grandes écoles en pôles d’excellence placés au cœur des grandes universités.

Au-delà des aménagements, un effort en faveur des universités suppose une amélioration des conditions de travail des étudiants avec une augmentation des effectifs afin de réduire le nombre de jeunes sortant de l’enseignement sans diplôme et sans emploi.

1 Zimmerman S.D., The Returns to College Admission for Academically Marginal Students, Journal of Labor Economics, 2014

2 Valero A. et J. Van Reenen, The Economic Impact of Universities, Evidence from Across the Globe, Economics of Education Review, 2019

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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