Le retour du débat sur l’euro fort

Le retour du débat sur l’euro fort

L’euro depuis quelques semaines tend à s’apprécier en particulier vis-à-vis du dollar relançant l’antienne sur le bon taux de change de la monnaie commune. Cette évolution rappelle les années 2002 / 2008 marquées par une croissance assez homogène des Etats membres et par la disparition des écarts de taux. La circulation de l’épargne au sein de la zone était importante. Avec la crise des subprimes et surtout des dettes souveraines, la circulation des capitaux s’est arrêtée entre les pays de la zone euro, les pays excédentaires n’ont plus financé les autres pays, et l’hétérogénéité des pays s’est ainsi accrue de 2009 à 2019. 

L’appréciation actuelle de l’euro est due aux incertitudes économiques et politiques pesant sur les Etats-Unis ainsi qu’aux politiques mises en œuvre au sein de l’Union européenne. 

Le dollar est-il en perte de vitesse ? 

Le dollar reste de loin la monnaie internationale, que ce soit pour les échanges commerciaux ou comme réserve de change. Le rôle de monnaie de réserve du dollar repose moins sur les résultats macro-économiques de l’économie américaine que sur le poids de cette dernière et le rôle de gendarme international des Etats-Unis. Le dollar bénéficie de la profondeur du marché financier américain qui n’a pas d’équivalent dans le monde. Quels que soient les aléas politiques, les Etats-Unis demeurent une démocratie dont la banque centrale est reconnue pour sa transparence, son expérience et sa prévisibilité. Depuis 1995, les rapports de forces entre les grandes monnaies ont peu changé. L’euro a connu son heure de gloire juste avant la crise de 2008 en s’arrogeant alors 27 % des réserves de change avant de revenir à 20 %. La monnaie chinoise, le RMB, joue un rôle marginal, 2 % des réserves de change en 2020, malgré le fait que la Chine soit la première puissance commerciale mondiale. En vingt ans, le yen a perdu du terrain en raison de la stagnation économique que le Japon connait et des politiques monétaires accommodantes qui ont été mises en place à partir des années 1990. Dans ce contexte, entre 1995 et 2020, le dollar a renforcé son poids comme réserves de change en passant de 59 à 62 %. 

Le statut de monnaie de réserve internationale du dollar pourrait être à terme affecté par l’expansion monétaire considérable des Etats-Unis qui peut faire douter de la solidité de sa valeur. La base monétaire de la banque centrale américaine est passée de 800 à 7000 milliards de dollars de 2003 à 2020, contre respectivement 500 et 4000 milliards d’euros pour la BCE. 

Le crédit du dollar pourrait être aussi atteint par la croissance rapide de la dette extérieure nette des Etats-Unis. Celle-ci est passée de 10 % du PIB en 2003 à plus de 55 % en 2020. Le déficit de la balance des paiements courants s’accompagne de celui du budget qui pourrait atteindre 20 % du PIB en 2020. La monnaie américaine pourrait être enfin pénalisée par la multiplication des conflits commerciaux et par la politique étrangère plus brutale du gouvernement fédéral. 

Les sanctions imposées aux entreprises non-américaines qui ne respectent pas les règles des Etats-Unis pourraient les inciter à se soustraire au dollar.

Les politiques européennes renforcent la monnaie commune

Depuis la crise grecque de 2012, la zone euro dispose d’outils de soutien non négligeables notamment à travers le Mécanisme Européen de Stabilité Financière. Les politiques d’assainissement mis en œuvre dans de nombreux Etats du Sud depuis huit ans ont abouti à réduire les déficits publics et commerciaux. Si les écarts de richesse entre les Etats membres sont conséquents, ils se sont stabilisés depuis 2017. Néanmoins, ils restent élevés. Le PIB par habitant de la Grèce représente 40 % de celui de l’Allemagne, celui de l’Italie, 70 % et celui de la France 88 %. 

La crédibilité de l’euro est imputable également au processus de modernisation en cours. En trente ans, les investissements dans les techniques de l’information (hors logiciels) ont été multipliés par deux et ont atteint, en 2019, près de 1,2 % du PIB. Le stock de robots industriels pour 100 emplois manufacturiers s’élevait, toujours en 2019, à 2,2 contre 0,8 en 1999. 

Si l’Europe reste en retard vis-à-vis du Japon ou de la Corée, elle rattrape son retard vis-à-vis des Etats-Unis. La balance des paiements courants de la zone euro est structurellement excédentaire depuis des années, ce qui est un facteur d’appréciation. L’hétérogénéité de la zone, avec des Etats du Sud fortement déficitaires, réduisait la force de ce facteur. La réduction des déficits supprime cet élément de faiblesse. 

L’Allemagne et les Pays-Bas dégagent des excédents de 6 à 8% du PIB depuis 2010. Les autres Etats de la zone euro enregistraient un déficit de 4% entre 2008, qui a été ramené à 2% du PIB en 2019. 

La crédibilité de la zone euro s’améliore avec le plan de relance européen (750 milliards d’euros financés en commun). La constitution d’une dette européenne recrée une profondeur de marché. La mutualisation ainsi opérée est un signe de solidarité et de réduction des écarts de croissance entre les Etats membres. 

Les capitaux se dirigent vers la zone euro. 

Cette situation devrait accroître progressivement le poids de l’euro comme monnaie de réserve augmente. En 2008, l’euro représentait 28 % des réserves de change. Ce ratio est passé à 19 % en 2017 avant de légèrement remonter depuis (21 % début 2020).

L’arrivée de capitaux extérieurs entraine la valorisation de la monnaie européenne, et cela malgré des taux directeurs nuls ou négatifs. Le taux de change qui était de 1 euro pour 1,2 dollar en 1999 était passé à 1,6 en 2008 avant de se rapprocher de la parité entre 2013 et 2017. Depuis quelques semaines, il est remonté à 1,2. 

L’appréciation de l’euro fait craindre des pertes de parts de marché au niveau du commerce international. Ce phénomène avait été constaté entre 2002 et 2008. La zone de danger semble commencer autour 1 euro pour 1,4 dollar. En revanche, le flux de capitaux joue en faveur de l’investissement et le maintien de taux bas. 

Un euro fort est déflationniste en réduisant le prix des produits importés. Il génère ainsi des gains de pouvoir d’achat pour les ménages en particulier pour ceux ayant un budget « carburant» important. 

Le dollar n’a pas dit son dernier mot 

Le recul de l’image des Etats-Unis et ses faiblesses économiques induisent une dépréciation du dollar. La monnaie américaine a résisté à de nombreuses crises depuis la fin des années 1960 sans perdre son statut et a connu des retours en force de grande ampleur. Actuellement, le dollar n’a pas de réel substitut. Il peut s’appuyer sur la dette du Trésor américain dont la taille est tout à la fois une faiblesse et un élément de domination. Il n’existe pas une autre dette de grande taille, liquide et sans risque. La dette publique américaine s’élevait fin 2019 à 25 000 milliards de dollars contre 10 000 milliards de dollars pour le Japon, 8000 milliards de dollars pour la Chine et autour de 2000 milliards de dollars pour l’Italie ou la France. La dette de l’Union européenne (750 milliards d’euros) qui va financer le plan de relance n’est qu’un embryon de dette fédérale. 

L’euro fort a toujours mauvaise presse en France, accusée de nuire aux exportations, sachant qu’elles sont réalisées à plus de 60 % au sein de l’Union européenne donc peu sensibles aux variations de change. 

Un atout pour la France

Par ailleurs, cette appréciation diminue le prix des importations, que ce soit celles de matières première et d’énergie ou celles de biens industriels. Cette diminution est un atout pour la France dont la balance commerciale est structurellement déficitaire. La valorisation de l’euro, sur le modèle allemand, doit conduire à une montée en gamme permanente de la production française avec à la clef l’amélioration des taux de marge. 

Si la dernière dévaluation du franc date du 11 janvier 1987, en France, la nostalgie demeure. L’idée que la France s’en sortirait mieux si elle pouvait dévaluer sa monnaie reste populaire. Les Français ont oublié que les dévaluations étaient accompagnées de plan de rigueur pouvant aller jusqu’au blocage des salaires. A 1,2 dollar, le taux de change de l’euro est dans sa fourchette moyenne et, en l’état, ne devrait pas constituer une véritable entrave au rebond européen.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

    Voir toutes les publications
Laisser un commentaire

Laisser un commentaire