Les Français, leur travail et leur retraite 

Les Français, leur travail et leur retraite 

Les enquêtes sur la perception du travail en France sont parfois contradictoires. Les Français globalement apprécient leur travail et leur entreprise mais, en revanche, l’idée de rallonger la durée de la vie professionnelle fait débat. 

Les enquêtes menées par le Cercle de l’Epargne, depuis 2014, sur ce sujet, soulignent une forte opposition au report de l’âge légal. En revanche, ces mêmes enquêtes indiquent que les Français sont conscients qu’il est nécessaire de réformer le système de retraites pour assurer sa pérennité. Ils sont également conscients qu’il faudra sans nul doute travailler à l’avenir plus longtemps.

Seul un salarié sur cinq considère que le travail est « très important ».  

Une enquête publiée par l’Institut Montaigne au mois de janvier 2023 confirme les résultats de l’enquête du Cercle. 77 % des sondés mentionnent être satisfaits de leur travail. Dans le même temps, une enquête de l’IFOP, toujours du mois de janvier, souligne que seul un salarié sur cinq considère que le travail est « très important ». Ce taux est en baisse de 40 points par rapport à 1990. La crise sanitaire a sans nul doute changé la donne tout comme le développement de la société des loisirs. 28 % des salariés souhaitent désormais faire uniquement et strictement ce pour quoi ils sont payés et ne pas aller au-delà. 44% des salariés veulent réduire le temps ou l’implication qu’ils consacrent à leur emploi. 

37 % des Français aimeraient par ailleurs mieux équilibrer leur temps entre vie professionnelle et personnelle. Plus de 40% des actifs aimeraient prendre une retraite anticipée même s’ils devaient recevoir une pension réduite, seulement 7% sont favorables à l’allongement de la vie professionnelle.

Le ressenti des Français sur la pénibilité des tâches a évolué ces dernières années. Pour une majorité d’entre eux, la charge de travail se serait accrue depuis cinq ans. 25 % la jugent même excessive. La pénibilité psychique au travail est devenue un réel problème pour un nombre croissant de salariés. Le nombre d’arrêts maladie en France a bondi l’année dernière. 42 % des salariés en ont au moins déclaré un, selon une étude réalisée par l’IFOP pour la fondation Jean Jaurès. 

En France, le nombre de salariés qui démissionnent augmente. Il a retrouvé son niveau d’avant crise 2008/2009. Les salariés concernés ne sortent pas du marché du travail mais changent d’emploi. Ils optent pour des emplois correspondant davantage à leurs attentes (horaires, lieu de travail, rémunération). Si ces démissions n’affectent pas le taux d’emploi, ce dernier reste faible. Pour les personnes de 15 à 64 ans, il était de 69 % en France, contre près de 78 % en Allemagne. Sur le segment des 60/64 ans, il était de respectivement 38 et 62 %.

Les entreprises peinent à recruter 

Le taux d’emploi est en hausse constante depuis la fin de la crise sanitaire mais cette hausse s’accompagne d’une diminution du temps de travail, soit -2 % entre 2019 et 2022. Les entreprises peinent à recruter pour des postes à horaires décalés. Elles sont contraintes de doubler les postes, ce qui induit une baisse de la production par salarié. Le télétravail est devenu un phénomène de société, les salariés souhaitant organiser leurs temps de travail et leur vie personnelle à leur guise. L’idée de la semaine de quatre jours obéit à cette même logique. 

Dans le même temps, les Français se plaignent de la pénurie de main-d’œuvre qui frappe les secteurs de la santé, du bâtiment ou du tourisme. Toute réforme visant à accroître le taux d’emploi est impopulaire, que ce soit celles qui concernent l’indemnisation du chômage ou celles sur la retraite. 

Les gouvernements ont-ils la possibilité d’aller à l’encontre de la volonté populaire ? Ont-ils les moyens de faire adopter des réformes nécessaires pour la pérennité de la croissance ? La remise en cause de celle-ci par un nombre non négligeable de Français, au nom de la protection de l’environnement ou d’un anticapitalisme qui demeure prégnant, réduit les marges de manœuvre des pouvoirs publics.

Remise en cause de la croissance 

Si les gouvernements renoncent à agir sur le taux d’emploi, le ratio cotisants/retraités se dégradera plus rapidement que prévu. Il était de 4 dans les années 1960, il est de 1,7 aujourd’hui et pourrait atteindre 1,4 en 2040. Une moindre population active diminuera la croissance potentielle du pays et donc les recettes publiques. 

Pour financer les dépenses de retraite, de dépendance et de santé qui ne peuvent que progresser d’ici le milieu du siècle, les gouvernements pourront augmenter les prélèvements obligatoires, ce qui reviendra à taxer les actifs et les consommateurs. 

Le coût du travail est en France parmi les plus élevés d’Europe. Les cotisations sociales représentent 10 % du PIB en France contre 8 % en zone euro (hors France) et 7 % en Allemagne. Les gouvernements pourraient diminuer, implicitement ou explicitement le montant des pensions en jouant sur plusieurs curseurs (désindexation, mode de calcul, décote, etc.). Depuis les années 1990, le ratio retraite/salaire net est en baisse constante. Le taux de remplacement (montant de la pension par rapport aux revenus d’activité) diminue. De 2014 à 2019, le pouvoir d’achat des retraités s’est érodé. Si le niveau de vie relatif des retraités par rapport à l’ensemble de la population est aujourd’hui supérieur de 2 points, il sera inférieur en 2030.

Automatiser et robotiser 

Pour compenser le déficit de main-d’œuvre, les entreprises pourraient automatiser et robotiser le plus possible et générer des gains de productivité. La France pourrait ainsi rattraper son retard par rapport aux autres pays occidentaux. Le stock de robots pour 100 emplois manufacturiers est de 1,9 en France, contre 2,9 en Suède, 3,4 en Allemagne et 3,8 au Japon. Cette robotisation ne résoudra pas l’ensemble des problèmes de main-d’œuvre de la France dont l’économie est avant tout tertiaire, l’industrie pesant moins de 10 % du PIB contre 22 % en Allemagne. 

A general view shows the body welding workshop which uses automated welding machine robots that assemble automobile bodies called white body (body before painting) at Toyota Motor’s Tsutsumi plant in Toyota, Aichi prefecture on December 4, 2014. AFP PHOTO / KAZUHIRO NOGI / AFP PHOTO / KAZUHIRO NOGI

Dans les secteurs peu robotisables, l’immigration constitue une des solutions envisageables mais il n’y a pas de consensus sur ce sujet. En Allemagne, l’immigration nette accroît la population active de 0,35 % par an en France contre plus de 0,7 % en Allemagne. 

La question des retraites ne se résume pas exclusivement à celle du déficit de 13 milliards d’euros en 2030. Elle renvoie surtout aux problèmes d’emploi et de croissance. Faute de main-d’œuvre, l’économie française est menacée d’attrition. Aucun consensus n’existe pour l’adoption de solutions visant à améliorer le taux d’emploi ou pour maîtriser les déficits sociaux. L’accroissement de la dette qui a été longtemps été la solution de facilité pose le problème de la soutenabilité de cette dernière en période de hausse des taux. Il risque, en outre, d’être de moins en moins toléré des partenaires européens qui pourraient estimer qu’il met en danger la monnaie commune.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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