Les marchés sourds aux bruits de bottes ?

Les marchés sourds aux bruits de bottes ?

Les bruits de bottes résonnent aux quatre coins de la planète comme jamais depuis la fin des années 1970. Des pays aussi différents que la Russie, la Corée du Nord ou l’Iran entendent unir leurs forces pour combattre l’Occident jugé, selon les dirigeants de ces pays, victime de l’antienne du déclin.

Pour autant, les bourses en Europe, aux États-Unis ou au Japon battent record sur record. Les marchés semblent, pour le moment du moins, étanches à la montée des risques géopolitiques. Les investisseurs seraient-ils victimes d’un optimisme irrationnel, coupables d’une terrible insouciance ou en proie à leur légendaire myopie ?

Force est de constater que la montée du cours des actions n’est pas sans fondement. Les investisseurs anticipent la future baisse des taux d’intérêt et privilégient les placements leur garantissant à l’avenir les meilleurs rendements. Compte tenu de la bonne tenue des résultats des entreprises et de l’importance des dividendes distribués, les actions sont naturellement recherchées. En l’état actuel, sauf pour certaines sociétés de la haute technologie dopées par l’engouement en faveur de l’intelligence artificielle, le rapport entre la valeur des actions et le montant des dividendes reste raisonnable. Cette envolée des cours en période de ralentissement de la croissance soulève néanmoins quelques interrogations.

Envolée des cours et ralentissement de la croissance

Le niveau des bénéfices est-il devenu excessif ? Traduit-il une mauvaise répartition de la valeur ajoutée ? Si les salariés ont connu une progression lente de leur rémunération durant les années 2000 et 2010 au vu des gains de productivité, ce n’est pas le cas ces dernières années. La distribution des dividendes et les rachats d’actions qui permettent d’augmenter le cours de ces dernières ont été effectués avant tout au détriment de l’investissement. Ce phénomène est plus marqué en Europe qu’aux États-Unis. Le sous-investissement des entreprises de la zone euro se traduit par de faibles gains de productivité, un retard dans les secteurs de la haute technologique et par une moindre croissance. Il devrait, à terme, provoquer une diminution des bénéfices.

Les marchés se sont organisés ces trente dernières années autour d’oligopoles

Par ailleurs, ces derniers sont élevés en raison d’une faiblesse de la concurrence. Les marchés se sont organisés ces trente dernières années autour d’oligopoles donnant lieu à des situations de rente. Le secteur de l’information et de la communication dominé en Occident par une dizaine d’entreprises en est l’illustre exemple. Dans une économie globalisée, caractérisée par une montée des contraintes réglementaires et des coûts de recherche-développement exponentiels, la pénétration d’un marché est de plus en plus difficile pour des nouvelles entreprises. Les pouvoirs publics concourent également à rigidifier l’offre en multipliant les mesures de soutien bien souvent génératrices des effets d’aubaine. 

La hausse des actions est également une forme de fuite devant la monnaie. L’accumulation des dettes publiques et la pratique accommodante des banques centrales, ces dernières années, les conduisent à rechercher des placements plus sûrs comme l’immobilier ou les entreprises. Les investisseurs minimiseraient les conséquences de plusieurs facteurs structurels qui, à terme, pourraient nuire sur longue période à la croissance et aux résultats des entreprises. 

Le réchauffement climatique constitue une menace de plus en plus palpable mais contre laquelle les efforts en particulier en matière de décarbonation des activités demeurent insuffisants. Même si de plus en plus d’entreprises s’engagent dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la hausse des températures au-delà des 1,5 degré fixé comme objectif par le GIEC semble inévitable.

La force de l’économie américaine constitue un paratonnerre

Les conséquences du vieillissement démographique sont également sous-estimées. Ce dernier pèsera sur la croissance et sur les gains de productivité des prochaines années. Enfin, le risque politique, difficile à évaluer par les acteurs économiques, est mal pris en compte. Or, dans un monde comportant de plus en plus d’États de taille systémique, et dans lequel la rémanence du conflit de la Seconde guerre mondiale s’estompe, les menaces de conflits tendent à s’accroître. 

La force de l’économie américaine constitue malgré tout un paratonnerre. Celle-ci a enregistré, l’année dernière, une forte croissance. Les tentatives de dédollarisation sont restées vaines. Bien au contraire, le poids de la devise américaine dans les échanges et comme valeur de réserve s’est renforcé en 2023, en raison de son rôle de valeur refuge. 

Face aux incertitudes et aux risques, l’optimisme des investisseurs est salutaire. Il est un des meilleurs moyens pour faire mentir les oiseaux de mauvais augure. Comme l’écrivait le dramaturge, essayiste et homme d’État tchèque, Vaclav Havel « l’espoir est un état d’esprit et une orientation du cœur ».

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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