Les nouvelles routes de la soie, dix ans après

Les nouvelles routes de la soie, dix ans après

En 2013, le président chinois, Xi Jinping, posait les bases des nouvelles routes de la soie. La présentation de ce projet s’est effectuée en plusieurs temps. Ce projet visait à redonner vie à un ancien réseau de routes commerciales reliant la Chine à l’Asie centrale, au Moyen-Orient, à l’Afrique et à l’Europe, routes qui dataient de l’Antiquité. 

Surnommée le « projet du siècle » par Xi Jinping, la reconstitution de ce réseau avait vocation à sécuriser l’approvisionnement en matières premières, énergie et en produits agricoles de la Chine et à faciliter l’acheminement des exportations. Il s’est mué également en outil d’influence géopolitique. Le projet a débouché sur la création de véritables comptoirs. Des ports et des aéroports sont construits ou achetés. Des routes ont été modernisées. 

Plus de cinquante pays 

En 2017, face aux critiques émanant de nombreux gouvernements, le Président chinois a remanié le projet en lui substituant au nom « One Belt, One Road » (« une ceinture, une route »), le nom moins exclusif « Belt and Road Initiative » (BRI). À travers ce projet, les Chinois sont accusés d’hégémonisme en prenant le contrôle de secteurs clefs au sein de nombreux pays. Les Occidentaux qui dans un premier temps n’avaient pas réagi à cette initiative s’y opposent de plus en plus ouvertement. 

Dix ans après sa naissance, le programme BRI est un réel succès. Plus de 50 pays y ont adhéré, pays qui représentent près de 75 % de la population et du PIB mondial. 

Avec cette initiative, la Chine a distribué des centaines de milliards de dollars en prêts et subventions pour les chemins de fer, les routes et d’autres infrastructures. La Chine affirme avoir été à l’origine de la création de 420 000 emplois grâce au BRI. Elle souligne que par son initiative 40 millions de personnes seraient sorties de la pauvreté. Les États membres se situent sur la quasi-totalité des continents. Dix-huit des 27 membres de l’Union européenne ont adhéré au BRI. Les principaux bénéficiaires européens sont la Grèce, la Hongrie, l’Estonie et le Portugal. En 2016, la Grèce, au bord de la banqueroute, avait décidé de privatiser des entreprises publiques. Elle a ainsi accepté de vendre à la société chinoise Cosco une participation de 51 % dans l’ensemble de l’installation portuaire du Pirée. Ce port se classe désormais parmi les quarante plus grands ports mondiaux quand il se situait, en 2016, au 93e rang. Depuis l’arrivée de l’entreprise chinoise, la capacité de manutention des conteneurs au Pirée a plus que quadruplé. 

Un outil géopolitique et de soutien aux pays en développement 

La Chine se pose en modèle concurrent des États occidentaux auprès des pays en développement et émergents. À la recherche de soutien notamment dans les organisations internationales, elle n’a pas hésité, dans les années 2010, à financer un nombre important de grands projets d’infrastructures en Afrique comme en Asie. 

Elle n’hésite pas non plus à faire pression sur les États aidés pour faciliter la nomination de Chinois ou de personnalités capables de défendre ses intérêts au sein des organisations internationales. Les autorités chinoises mettent en avant qu’elles ne demandent, à la différence des Occidentaux, aucune contrepartie en matière de transparence financière ou de Droits de l’Homme. La Chine s’est ainsi constitué un réseau d’États susceptibles de l’épauler face aux États-Unis. Avec le BRI, en dix ans, la Chine est devenue le plus grand créancier des pays en développement. 

La présence de la Chine s’est fortement accrue en Afrique, remplaçant les anciennes puissances coloniales, la France et le Royaume-Uni. Les entreprises chinoises ont ainsi réalisé d’importantes infrastructures ferroviaires ou portuaires au profit d’États d’Afrique subsaharienne. Les pays émergents et en développement se sont davantage tournés vers la Chine en raison des difficultés croissantes d’accéder aux crédits occidentaux. 

Les banques européennes et américaines sont devenues, en raison des réglementations adoptées au sein de l’OCDE, plus strictes en matière d’octroi de crédits (lutte contre la corruption). Par ailleurs, les promesses du FMI ou de la Banque mondiale de venir en aide aux pays pauvres restent souvent lettre morte incitant ces derniers à se tourner vers d’autres États ou organisations. 

Route de la soie  La Chine est de plus en plus préoccupée par sa sécurité économique

L’Asie au cœur des priorités chinoises 

Allié traditionnel de la Chine, le Pakistan a bénéficié de 60 milliards de dollars d’aides de de cette dernière pour moderniser ses centrales électriques et ses routes. Connu sous le nom de Corridor économique Chine-Pakistan (Cpec), l’objectif était de favoriser les échanges entre les deux pays. Les retombées économiques ont été faibles en raison, notamment, de la multiplication des conflits politiques et sociaux au Pakistan. 

Confronté à un problème de remboursement des dettes accumulées, le Pakistan a fini par se tourner vers le FMI pour obtenir de l’aide. La Chine n’abandonne néanmoins pas ce pays qui est jugé comme stratégique. 

La Chine entend de plus en plus à sécuriser la zone asiatique tend à limiter à la fois l’influence des États-Unis mais aussi celle de l’Inde, son concurrent traditionnel tant géographique que politique. 

Dans un contexte de tensions croissantes avec l’Occident, la Chine est de plus en plus préoccupée par sa sécurité économique. En Asie, l’hégémonisme chinoise commence à faire débat. Que ce soit au Vietnam, au Laos ou au Cambodge, les populations sont de plus en plus méfiantes face à la montée en puissance des entreprises chinoises. Le Laos est confronté au remboursement d’une dette de plus de 10,5 milliards de dollars dont la moitié est d’origine chinoise. L’année dernière, faute de réserves de changes suffisantes, le pays a été incapable d’acheter le pétrole dont il avait besoin. Le pays est au bord du défaut de paiement. Face à cette situation, la Chine a accepté le report des remboursements. Elle a, par ailleurs, décidé de privilégier la Thaïlande ou la Malaisie mais les gouvernements de ces deux pays sont moins coopératifs que celui du Laos. 

La Chine confrontée au problème de l’endettement des pays en développement

Depuis quelques années, la Chine est confrontée aux non-paiements des dettes de la part des pays les plus pauvres. Jusqu’à une date récente, elle refusait de participer au Club de Paris qui réunit les créanciers des États en difficulté. Ce club propose de manière coordonnée des plans de rééchelonnement ou d’annulation des dettes. La Chine privilégie les relations bilatérales. Face aux risques de non-paiements des créances, les autorités chinoises cherchent soit à acquérir les infrastructures dont elles sont à l’origine, soit d’imposer des règles de gestion afin d’obtenir de meilleurs rendements, soit d’imposer des plans de redressement directement aux gouvernements concernés. Cette pratique aggrave bien souvent la situation des pays endettés.

Le FMI plafonne souvent les taux à 2 %, les Chinois appliquent 5 %.

Entre 2016 et 2021, les autorités chinoises ont accordé 185 milliards de dollars de prêts de sauvetage. Si en 2010, moins de 5 % des prêts chinois à l’étranger concernaient des États en difficulté, ce ratio atteint, en 2022, 60 %. Les banques chinoises concèdent peu de remises à ces États. Le FMI plafonne souvent les taux à 2 % pour les pays les plus pauvres ayant des problèmes financiers, quand, en moyenne, les Chinois appliquent des taux de 5 %. En juin 2023, pour la première fois, la Chine a accepté de se joindre aux créanciers occidentaux pour établir un accord avec la Zambie de restructuration de sa dette, dont une grande partie est due à la Chine. Depuis quelques années, face aux risques de défaut de paiement, la Chine prête avec plus de parcimonie aux pays en développement. 

En 2020, les nouveaux prêts de la Chine aux gouvernements africains s’élevaient à moins de 2 milliards de dollars. Il s’agit du montant le plus bas depuis 2004. Les banques chinoises sont beaucoup plus prudentes en raison notamment des difficultés des banques sur le plan intérieur. Xi Jinping souhaite orienter le BRI vers des projets moins coûteux mais plus utiles sur le long terme. Il évoque de plus en plus une « Route de la Soie numérique » axée sur des secteurs tels que l’intelligence artificielle, les télécommunications et le Cloud.

Route de la soieOne Belt, One Road

Les Occidentaux de plus en plus critiques face à la Route de la Soie

Pour le dixième anniversaire de la Nouvelle Route de la Soie, les Occidentaux ont décidé de boycotter le Forum qui doit se tenir à Pékin en octobre. En revanche, Vladimir Poutine sera présent. À cette occasion, le Président chinois devrait vendre un modèle de développement alternatif à celui des démocraties occidentales. L’Italie qui était le seul pays membre de l’OCDE et du G7 a participé au BRI a annoncé, par l’intermédiaire de son vice-Premier ministre, Antonio Tajani, que son pays pourrait s’en retirer. 

La Route de la Soie devient de plus en plus une des expressions de la fragmentation du monde avec, d’un côté, les pays émergents et en développement rassemblés autour de la Chine et, de l’autre côté, l’OCDE. Au G20, cette division s’est notamment matérialisée par le refus de la majorité des États présents de dénoncer nommément la Russie comme l’agresseur de l’Ukraine. En 2013, la nouvelle route de la soie n’est pas perçue comme un outil de la géopolitique de la Chine. La réaction de la part des Occidentaux intervient en 2017 avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump qui déclenche une guerre commerciale contre la Chine. L’Union européenne, avec prudence, prend position en 2021 en qualifiant la Chine de « rival systémique ». Avant cela, les Grecs ont commencé à prendre leurs distances avec la Chine. 

L’Union européenne a décidé de renforcer le contrôle des investissements étrangers pour détecter d’éventuels risques de sécurité. En 2023, les projets chinois sont rares. Demeure la construction de la ligne ferroviaire à grande vitesse entre la Hongrie et la Serbie. Les Chinois espèrent pouvoir la poursuivre afin de relier, à terme, le port du Pirée, mais la Macédoine du Nord et la Grèce ne sont guère enclins à satisfaire leurs désirs. 

Un projet revu et corrigé 

Les nouvelles routes de la soie pourraient être placées, dans les prochaines années, au second plan en raison de la multiplication des problèmes auxquels est confrontée la Chine. La crise immobilière nécessite une mobilisation des capitaux chinois. Les plans de relance mobilisent une part croissante du budget et des crédits possibles. L’objectif des autorités est d’éviter la déflation et de maintenir un minimum de croissance. La transition énergétique, elle aussi, n’est pas sans conséquence sur le programme BRI. La réalisation d’infrastructures en Chine mobilise des moyens croissants. 

Pour éviter d’éventuelles sanctions internationales, la Chine entend éviter d’être pointée comme responsable du réchauffement climatique en finançant des centrales électriques au charbon que les pays en développement prévoient en raison de leur faible coût de construction. Les autorités chinoises ne souhaitent pas abandonner le BRI mais le réorienter vers la haute technologie. Elles veulent dépenser moins et obtenir un meilleur rendement des sommes qui y sont affectées.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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