Le Canada, État fédéral réputé pour la modération de sa population, est en état d’ébullition. Les propos de Donald Trump, suggérant de faire du voisin du nord des États-Unis le 51ᵉ État américain, ont provoqué une vive réaction. Les Canadiens se sont rués sur les drapeaux à feuille d’érable, et pour certains d’entre eux ont annulé leurs projets de voyage vers le sud et se sont mis à huer l’hymne américain lors d’événements sportifs. Le Président américain est ainsi parvenu à susciter un regain de patriotisme canadien. Donald Trump envisage les relations commerciales sous l’angle de la nationalité plutôt que sous celui des bénéfices mutuels qu’elles peuvent générer. Les entreprises étrangères, tout comme les États, deviennent des cibles potentielles dans cette logique. Ce retour de l’identité nationale dans les échanges internationaux ne se limite pas aux États-Unis.
En Chine, le Parti communiste présente l’ascension économique du pays comme une œuvre nationale. Alex Karp, fondateur de Palantir, entreprise de technologie militaire, a même co-écrit un ouvrage défendant les vertus du patriotisme comme rempart des valeurs occidentales. Lori Yue, de la Columbia Business School, a analysé 41 000 rapports annuels d’entreprises publiques chinoises publiés entre 2000 et 2020 pour évaluer l’évolution de la rhétorique nationaliste. Elle constate une nette augmentation du langage nationaliste au cours des deux dernières décennies, particulièrement chez les entreprises publiques, celles-ci n’ayant pas d’actionnaires étrangers ou peu tournées vers l’export. Ces dernières recourent davantage à un vocabulaire populiste dans leurs documents officiels.
Discours nationalistes paravent de pratiques douteuses
L’étude révèle également une corrélation entre la rhétorique nationaliste et des pratiques peu vertueuses. Les entreprises valorisant fortement l’identité nationale sont moins enclines à investir dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre. À l’inverse, celles créées après l’entrée de la Chine à l’Organisation Mondiale du Commerce en 2001 ont tendance à adopter une communication plus ouverte et moins patriotique.
Selon une autre étude menée par Pantelis Kazakis de l’université de Glasgow, les entreprises portant un discours nationaliste marqué sont aussi celles qui recourent le plus souvent à l’évasion fiscale. Ce comportement s’expliquerait par des liens étroits entre leurs dirigeants et l’administration, nourrissant un sentiment d’impunité. Le discours nationaliste jouerait alors le rôle de paravent, masquant des pratiques douteuses.

Une analyse de 2019 conduite par Alexander Mohr et Christian Schumacher (Université d’économie et de commerce de Vienne) montre que le patriotisme affiché des entreprises américaines du S&P500 nuit à celles dont les ventes et les actifs sont majoritairement situés à l’étranger. Une étude récente d’Arnab Choudhury (Université Columbia) révèle que, devant les tribunaux fédéraux américains, les entreprises nationales ont obtenu plus de succès que les entreprises étrangères dans les litiges en matière de brevets entre 1983 et 2016.
L’identité nationale, un levier stratégique pour les entreprises
Dans le domaine des aides et des dérogations, afficher fièrement sa nationalité devient aussi un avantage stratégique. L’invocation de l’identité nationale n’est plus l’apanage des États ou des mouvements politiques. Elle se développe dans le monde des affaires, devenant un levier stratégique pour les entreprises, qu’il s’agisse de séduire un public intérieur, d’obtenir des faveurs de l’État ou de masquer des comportements discutables.
Cette instrumentalisation croissante du patriotisme économique traduit une mutation des rapports de force dans la mondialisation : à la logique du marché se superpose désormais une logique d’allégeance nationale. Si elle peut être payante à court terme, cette tendance n’est pas sans risque : elle fragilise la coopération internationale, brouille les repères éthiques et pourrait, à terme, compromettre la crédibilité et la performance des acteurs économiques les plus enclins à s’en revendiquer.
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