Littérature politique estivale - Notre sélection

Littérature politique estivale - Notre sélection

La littérature possède-t-elle un pouvoir explicatif en matière politique ? À Lire Zola ou Hugo, Balzac ou Flaubert, tout lecteur a envie de s’écrier qu’à l’évidence les romans peuvent expliquer le monde ou la société bien mieux que n’importe quel commentateur enflammé de chaîne d’info en continu. Acuité de l’œil de l’auteur, distance critique permise par la fiction ou simplement liberté de ton et d’esprit, la littérature à son meilleur peut expliquer le politique sans verser dans l’esprit partisan ou, pire, dans l’idéologie qui rétrécit la pensée.

Oui mais voilà, tous les auteurs cités ont disparu depuis plus d’un siècle et à l’heure de choisir un livre pour cet été, vous voilà bien embêté : que peuvent nous dire nos écrivains contemporains à propos d’une société française. Notre sélection de littérature pour cet été sera donc littéraire et politique, engagée et diversifiée et sans esprit partisan car il s’agit bel et bien de vous donner à tous, quelles que soient vos opinions, de quoi bouquiner utile sur le bord de la piscine.

Un roman graphique pour comprendre l’antisémitisme ordinaire à travers le destin de Joann Sfar

Difficile d’ignorer la montée de l’antisémitisme en France sous fond d’importation du conflit israélo-palestinien et de terrorisme post 7 octobre.

Cet auteur a été révélé au grand public par sa  célèbre série le Chat du Rabbin. Joann Sfar livre ici son roman graphique le plus personnel et évoque les racines d’un antisémitisme présent depuis toujours en France mais sans animosité et avec une délicatesse de traitement qui font de cette bande dessinée un investissement précieux pour l’été. Avec la Synagogue  (Dargaud) il revient sur son enfance et adolescence à Nice et décrit de l’intérieur une communauté juive partie intégrante de la ville méditerranéenne. Il livre aussi sans fard une vision de l’antisémitisme ordinaire qui sévit alors. Nervis d’extrême droite avec qui on fait le coup de poing, initiation aux arts martiaux pour se défendre, le livre possède beaucoup d’humour et de second degré. On y croise aussi la figure tutélaire de son père qui permet de montrer les mécanismes de la transmission culturelle du judaïsme, l’auteur n’étant nullement un esprit religieux.  L’obligation de lutter pour exister est à méditer au regard du contexte actuel. Le livre est  aussi une succession de moments heureux et tendres d’une enfance au soleil entre copains de tous horizons.

Entre littérature et sociologie, « Retour à Reims », pour analyser les racines du racisme

Le roman paru initialement chez Fayard en 2009 est en passe de devenir un classique. Didier Eribon y revient dans un récit autobiographique sur le glissement vers le vote Front National de sa famille, des gens modestes d’un quartier anciennement communiste de Reims. Il montre comment des ouvriers et employés de gauche, habitués à côtoyer des immigrés, vont peu à peu s’orienter vers un vote extrême à dimension raciste. Sentiment d’abandon face à des politiques libérales qui affaiblissent les structures publiques, montée de la peur sous fond de supposée menace culturelle, le livre est un récit qui se dévore de bout en bout. Une illustration très personnelle d’un phénomène sociologique ailleurs documenté sur la montée des extrêmes dans les milieux populaires.

Le livre a été traduit très largement et est devenu un best-seller dans de nombreux pays. Il fournit des pistes de réflexion intéressantes et ne se départit pas d’une empathie malgré un sujet lourd.

La Place de Annie Ernaux, une exploration des milieux populaires par le prix Nobel de littérature.

Annie Ernaux a publié ce livre en 1983 et il constitue une pierre angulaire de son œuvre. Comme le livre d’Eribon il est une véritable plongée en apnée dans le milieu d’origine de l’auteur. Sa famille tient un café épicerie en Normandie et le récit est une quasi-étude sociologique qui s’appuie sur la fameuse « écriture blanche » d’Ernaux, un texte sans affect, distancié, même quand il s’agit d’évoquer des sujets douloureux comme la mort du père ou les frontières de classe qui existent dans la ville. Le livre a une profonde dimension politique aussi car il décrit les logiques de reproduction culturelle, l’autocensure des gens modestes comme aussi la promotion individuelle par l’école  républicaine ou par les lettres puisque Ernaux deviendra par la suite enseignante.

Un polémiste de talent, Michel Houellebecq, et une politique-fiction puissante « Soumission »

Détesté ou adoré, plus grand auteur français vivant ou vil provocateur, les avis sur Michel Houellebecq sont contrastés. Mais le public généralement se presse pour découvrir ses nouveaux opus.

« Soumission » est paru en 2015 chez Flammarion et ne constitue donc pas la dernière publication de l’auteur. Mais le thème du livre, un succès de librairie vendu à plus de 120 000 exemplaires, décrit l’accès au pouvoir grâce aux élections d’un président issu d’un parti musulman. Le roman donnera du grain à moudre à tous ceux qui voudront discuter de l’influence politique des musulmans de France et à tous ceux qui voient les élections comme des moments possibles de bascule. Le roman a cette subtilité de décrire « un pouvoir doux » religieux à rebours d’un islamisme imbécile et terroriste. Il montre aussi le pouvoir inexorable des urnes quand un parti assume une influence culturelle de plus en plus forte. La critique sous jacente porte sur cette « Soumission » lente mais réelle à laquelle nous condamnerait un pouvoir religieux.

Dans la lignée d’un Voltaire ou pour ses détracteurs dans une vision intolérante du religieux, Houellebecq continue à tracer sa route littéraire et politique et vous propose un roman d’anticipation et une fiction politique nourrie par son talent visionnaire.

Un grand classique de la lutte contre le fascisme, « Hommage à la Catalogne » de Georges Orwell

Ce livre est entré dans la légende de la lutte contre le fascisme. Paru en 1938 il retrace la participation de l’écrivain britannique aux combats en Catalogne en 1936 et 1937. Décrivant la vaillance des combattants dans ce qui était alors une véritable guerre de tranchées, il décrit aussi sans fard les menées délétères des staliniens du parti communiste d’Espagne (PCE) dont seront victimes les militants du POUM.

Confrontation entre l’idéal et le réel, le combat anti-fasciste est décrit parfois dans son impréparation avec une résistance courageuse mais désorganisée. Le livre n’en reste pas moins une charge puissante contre les menées totalitaires du camp fasciste. Il annonce le roman 1984 mais sous la forme d’un récit vécu, sincère, plein d’espoir et d’enthousiasme, comme de lucidité face à la victoire des franquistes qui apparait comme peu à peu inexorable.

Sur les chemins noirs avec Sylvain Tesson, pour découvrir la France de l’intérieur

Sylvain Tesson est considéré comme une figure singulière des lettres. Ecrivain voyageur il a livré des pages puissantes sur ses aventures en Sibérie, en Europe centrale ou en Asie. Profondément meurtri par sa chute d’un toit qui le laisse meurtri dans sa chair, il livre avec « sur les chemins noirs » (2019, Gallimard) un récit sur la France de l’intérieur qu’il découvre pas à pas à travers des itinéraires de randonnée entre pèlerinage et promenade d’un rêveur solitaire.

Considéré par beaucoup comme un écrivain de droite ou d’extrême droite, sa plume vaut pour cette découverte d’une France parfois oubliée, en marge des grands pôles économiques, d’un monde terrien plus qu’urbain. Si le propos de Tesson est spirituel, nostalgique et non partisan il pourra donner des éléments de réflexion à tous ceux qui s’interrogent sur l’identité française et sur le devenir de la ruralité.

Bonne lecture cet été en espérant que notre sélection de littérature engagée vous aura séduit !

Auteur/Autrice

  • Boris Faure est l'ex 1er Secrétaire de la fédération des expatriés du Parti socialiste, mais c'est surtout un expert de la culture française à l'étranger. Il travaille depuis 20 ans dans le réseau des Instituts Français, et a été secrétaire général de celui de l'île Maurice, avant de travailler auprès des Instituts de Pologne et d'Ukraine. Il a été la plume d'une ministre de la Francophonie. Aujourd'hui, il collabore avec Sud Radio et Lesfrancais.press, tout en étant auteur et représentant syndical dans le réseau des Lycées français à l'étranger.

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