L’Union européenne, acte III 

L’Union européenne, acte III 

Le Royaume-Uni a construit son hégémonie politique et économique au XIXe siècle et dans la première partie du XXe siècle en veillant à ce qu’aucune puissance continentale ne domine l’Europe. Il s’est ainsi allié avec la Russie et l’Autriche-Hongrie pour affaiblir la France avant de de se rapprocher de cette dernière afin d’endiguer l’Allemagne. Que ce soit en 1815 ou en 1945, le Royaume-Uni fut à la manœuvre pour restaurer la France dans le concert des nations afin de contrecarrer les aspirations hégémoniques de la Russie. 

Depuis la fin des années 1950, la construction européenne repose sur le couple franco-allemand. Pendant des décennies, tout en privilégiant l’alliance américaine, les gouvernements allemands ont laissé à ceux de la France le soin d’occuper le devant de la scène diplomatique. Cette répartition des rôles a certainement vécu. En 2022, l’Allemagne a une industrie deux fois plus importante que celle de la France. Son PIB par habitant est supérieur à celui de son partenaire de 15 %. Avec le temps, la rémanence de l’époque nazie s’estompe. Pour les nouvelles générations d’Allemands, ni leurs parents ni leurs grands parents n’ont été mêlés de près ou de loin à la barbarie du IIIe Reich. Ces faits et ces données sont aujourd’hui incontournables.

Le couple franco-allemand est désormais vacillant 

La sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne a confirmé le déplacement du centre de gravité de l’Europe à l’Est. La France a perdu un allié, certes compliqué mais aux liens anciens et forts, quand l’Allemagne peut compter sur la solidarité des Etats d’Europe centrale et de l’Est. Le couple franco-allemand est désormais vacillant et ressemble de plus en plus à un face à face. 

Le chancelier Olaf Scholz et le président de la République Emmanuel Macron © AFP 2022

L’Europe est à l’image des Etats qui la composent, fragmentée avec l’Allemagne comme carrefour. Depuis leur intégration au sein de l’Union européenne, les États d’Europe de l’Est se sont modernisés et, contrairement à ceux du Sud, se caractérisent par une gestion plus stricte des finances publiques. Avec l’Allemagne, ils ont en commun d’être exposés à la menace russe tant sur le plan militaire qu’énergétique. Il y a une communauté de destin qui se forge, communauté qui ne comprend pas la France. 

L’Allemagne est contrainte d’être diplomatiquement plus visible que dans le passé au risque de susciter des oppositions au sein de ses partenaires. Vue des États-Unis et de nombreux pays, la zone euro est avant tout perçue comme une grande Allemagne, dont la France ne serait qu’un des satellites. 

Ce changement de dimension de la politique internationale allemande s’est manifesté notamment lors du discours de politique générale européenne prononcé par le chancelier Olaf Scholz, le lundi 29 août dernier, à l’Université Charles de Prague durant lequel il n’a presque pas fait mention de la France.

Une nouvelle Union européenne se met en place autour de l’Allemagne 

Progressivement, une nouvelle Union européenne se met en place autour de l’Allemagne en position d’arbitre entre les demandes des États d’Europe du Nord, de de l’Est et du Sud. La France doit éviter de se retrouver isolée sachant que les pays méditerranéens sont rarement unis. Elle est, par ailleurs, de plus en plus dépendante du bon vouloir des États du Nord concernant la politique monétaire ou budgétaire. 

Cet isolement concerne également le terrain militaire. L’Allemagne a, contre la France, décidé d’acquérir une couverture antimissiles en accord avec 14 États membres de l’Union. Les projets de construction de chars et d’avions de chasse en communs sont au point mort, rappelant les cuisants échecs en la matière des tentatives menées dans les années 1980. 

La France prend conscience que l’Allemagne défend de manière assumée ses intérêts. Elle est ainsi obligée comme après le Congrès de Vienne de façonner des alliances au cas par cas pour éviter sa marginalisation. Elle a aussi l’ardente obligation de restaurer ses équilibres économiques, commerciaux et financiers pour pouvoir peser davantage. 

Le concert européen, qui n’a jamais été simple, prendra sans nul doute de nouvelles formes dans les prochaines années avec une Allemagne plus en pointe, et les autres Etats obligés de s’unir pour imposer leur ligne. L’Union européenne est née avec la monnaie unique au moment de la fin de l’URSS ; elle est entrée dans une période de doutes avec l’échec du Traité constitutionnel de 2005 et avec le Brexit en 2016. 

La guerre en Ukraine et les changements de rapports de force semblent marquer l’entrée dans l’acte III de l’Union européenne. 

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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