Mondialisation, fin de partie ou nouvelle partie ?

Mondialisation, fin de partie ou nouvelle partie ?

Après une phase de mondialisation sans précédent entre 1990 et 2007, la tentation de la fragmentation semble depuis s’accélérer avec le retour au protectionnisme. 

De l’interdiction d’accéder aux réseaux sociaux américains en Chine à la menace d’interdiction de Tik Tok aux États-Unis, en passant par l’instauration d’embargos à l’encontre de la Russie ou de l’Iran, les barrières commerciales se multiplient. Le département du Trésor américain élaborerait des plans pour arrêter les investissements dans les technologies de pointe au sein de pays qui mettraient en œuvre des politiques contraires aux intérêts américains. La vente à la Chine de microprocesseurs avancés et d’équipements de leur fabrication est désormais interdite. Dans le même temps, le gouvernement fédéral propose des subventions pour rapatrier les chaînes de fabrication des semi-conducteurs, des batteries, des voitures électriques et des équipements indispensables pour les énergies renouvelables. 

L’Union européenne recourt aux mêmes armes afin de limiter sa dépendance à la Chine et aux États-Unis. À l’échelle de l’Histoire, la planète a connu plusieurs grandes phases de développement du commerce international et des reculs marqués. Sans revenir à l’Empire romain, Les entreprises européennes ont commencé à rayonner au-delà de leurs frontières à partir du XVIe siècle avec l’essor des maisons de commerce coloniales. La deuxième grande vague s’est produite au XIXe siècle avec le développement du transport maritime. Elle a cessé au début du XXe siècle avec l’opposition croissante entre l’Allemagne et le Royaume-Uni, opposition qui déboucha sur la Première Guerre mondiale. Le commerce international a mis soixante ans pour retrouver l’ampleur qu’il avait en 1912.

La Chine continue de protéger son marché intérieur 

La dernière vague est celle des années 1990 – 2007, marquée par l’essor de la Chine comme atelier du monde. En une trentaine d’années, le poids de ce pays dans le commerce mondial est passé de 3 à 10 % du PIB. Il est devenu, pour un très grand nombre de pays, leur premier fournisseur. Pour la première fois depuis le début de la révolution industrielle, un État d’obédience communiste, doté d’un régime autoritaire, s’est hissé au premier rang pour les échanges internationaux. 

Cette montée en puissance a été facilitée par les États occidentaux qui ont accepté, en 2001, l’adhésion de ce pays à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). La Chine bénéficie d’un statut dérogatoire en tant que pays en développement, ce qui lui permet de continuer à protéger son marché intérieur. Les pays occidentaux ont accepté cet état de fait car ils ont bénéficié de gains de productivité et de pouvoir d’achat grâce aux importations des pays à bas coûts de production. La dernière vague d’internationalisation a pris fin avec la crise financière de 2007/2009.

Une contestation croissante de la mondialisation 

La croissance du commerce international est désormais inférieure à celle du PIB quand elle pouvait être deux fois plus rapide durant les décennies précédentes. La crise financière a révélé la fragilité des économies occidentales. Elle s’est accompagnée en leur sein d’une contestation croissante de la mondialisation accusée de détruire les emplois des classes moyennes. Les entreprises occidentales ont été les grandes opératrices de la dernière phase de mondialisation. Elles ont été à l’origine des trois quarts des flux d’investissement de capitaux permettant l’industrialisation des pays émergents.

Après la crise financière, les entreprises occidentales ont réduit leurs investissements à l’étranger. Les flux annuels d’investissements étrangers américains et européens (hors bénéfices réinvestis) sont passés de 659 milliards de dollars en 2015 à 216 milliards de dollars en 2021. Entre 2010 et 2021, la part de l’Occident dans le stock mondial d’investissement direct étranger (IDE) est passée de 78 % à 71 %. Grâce à leur puissance financière, les entreprises chinoises ont multiplié les filiales et les acquisitions à l’étranger. Elles concurrencent de plus en plus les firmes multinationales sur leurs marchés. En 2022, quatre des cinq plus grandes marques de smartphones en Inde, par exemple, sont désormais chinoises. L’année dernière, la Chine a dépassé l’Allemagne en tant que deuxième exportateur mondial de voitures, derrière le Japon. 

Les revenus issus de l’étranger pour les multinationales occidentales stagnent depuis une dizaine d’années, quand ils avaient été multipliés par trois de 1990 à 2010. Cette stagnation s’explique par la faible croissance des ventes internationales des sociétés américaines et européennes cotées. Elles ont augmenté de moins de 2 % de 2010 à 2022 contre 8 % dans les années 2000 et 10 % dans les années 1990. Les multinationales occidentales réduisent leur nombre de filiales à l’étranger. Cette baisse s’explique par leur départ de Russie ou d’Iran mais aussi d’un certain nombre de pays émergents ou en développement en raison de problèmes de sécurité.

La Chine opère de plus en plus dans le cadre de partenariats 

Les autorités chinoises entendent également réduire l’influence des entreprises occidentales en augmentant les contraintes pesant sur ces dernières. Les règles financières sont de plus en plus tatillonnes afin de dissuader les investissements étrangers. Le contrôle politique est de plus en plus pesant avec une fermeture technologique se traduisant par un découplage de l’Internet chinois du monde occidental. La Chine opère de plus en plus dans le cadre de partenariats afin de sécuriser ses approvisionnements et ses exportations. Elle a ainsi noué des relations privilégiées avec la Russie, l’Iran, le Venezuela, l’Éthiopie, la Hongrie, la Grèce et la Corée du Nord. Si le marché chinois demeure essentiel pour des pays comme l’Allemagne, il l’est de moins en moins pour les firmes américaines. 

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Certes, les entreprises occidentales de semi-conducteurs réalisent environ 30 % de leurs ventes en Chine mais la fabrication de ces derniers ne représente que 400 milliards de dollars sur les 12 000 milliards de dollars d’exportations réalisées par les sociétés occidentales cotées. La Chine serait responsable de moins d’un huitième des revenus étrangers de ces entreprises.

L’Inde, un marché de plus en plus important pour les entreprises occidentales 

Les multinationales américaines gagnent beaucoup plus d’argent avec leurs ventes en Europe qu’avec les pays émergents. Pour les entreprises européennes, le marché chinois est assez modeste en ce qui concerne les exportations. Selon The Economist, seuls 8 % des revenus totaux des entreprises européennes proviennent, en effet, de ce pays. Pour leurs homologues américains, le chiffre serait de 4 %. 

L’Inde est, en revanche, un marché de plus en plus important pour les entreprises occidentales. Leurs ventes y ont progressé entre 2017 et 2020 de 6 % par an. 

La fragmentation du monde ne se traduit pas encore en chiffres par une réindustrialisation des pays occidentaux. La production manufacturière reste inférieure à ce qu’elle était avant la crise financière aux États-Unis et à peu près inchangée en Europe, grâce à l’Allemagne, le processus de désindustrialisation s’étant accéléré notamment pour la France. Les grandes entreprises réduisent le nombre de leurs implantations à l’étranger en privilégiant les États en forte croissance et politiquement stables. L’Inde, le Vietnam, le Mexique, le Canada, sont privilégiés pour l’implantation d’unités industrielles. 

En Europe, la République tchèque et la Slovénie demeurent attractives. La France accueille peu de nouvelles usines mais attire des capitaux pour la création de sièges administratifs. Tesla a choisi Berlin pour l’installation de son usine de véhicules électriques mais ses dirigeants estiment que les contraintes réglementaires ont pesé sur la réalisation du projet, retardé de nombreux mois.

Les multinationales se désengagent de la production pour se concentrer sur la recherche, sur l’immatériel 

Face à la montée du protectionnisme, les multinationales sont contraintes d’opérer des transferts de technologie. Elles acceptent également de délocaliser leurs centres de recherche. Avec l’amélioration du niveau de formation dans les pays émergents, elles arrivent à recruter à des conditions intéressantes des chercheurs de haut niveau. Les dépenses des multinationales américaines en recherche et développement (R&D) dans les pays à bas coûts ont à peu près doublé entre 2010 et 2020. En novembre dernier, Boeing a annoncé qu’il construirait une installation de R&D de 200 millions de dollars dans la ville indienne de Bangalore. Walmart, Rolls-Royce, Alphabet, Amazon et Microsoft ont également ouvert des centres de R&D dans cette ville qui devient un haut lieu de la recherche. 

Les multinationales se désengagent de plus en plus de la production pour se concentrer sur la recherche, sur l’immatériel. La fabrication est laissée à des sous-traitants interchangeables, l’objectif étant de ne pas être dépendant d’une entreprise et d’une zone géographique.

L’internationalisation n’a pas dit son dernier mot.  

Siemens se définit désormais comme une « entreprise technologique » axée sur les simulations numériques et l’analyse de données. Walmart emploie désormais 25 000 spécialistes du numérique soit autant que les effectifs combinés de Pinterest, Snap, Spotify et Zoom. Les entreprises gagnent de plus en plus d’argent sur les brevets et de moins en moins sur la production. 

L’internationalisation n’a pas dit son dernier mot. La rentabilité des firmes multinationales dont le chiffre d’affaires dépasse 10 milliards de dollars est plus de quatre fois plus élevée que celle des entreprises réalisant moins d’un milliard de chiffre d’affaires. Leur rentabilité a augmenté de 6 points (12 à 18 %) entre 1990 à 2021 quand celle des entreprises de moins d’un milliard de dollars de chiffres d’affaires a été divisée par deux sur la même période (8 à 4 %). Les premières ont réalisé plus de 43 % de leur chiffre d’affaires à l’étranger contre 32 % pour les secondes. Si le monde se fractionne, les grandes entreprises entendent maintenir leurs positions dominantes le plus longtemps possible.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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