Quand internet sera chinois.....

Quand internet sera chinois.....

L’internet chinois séduit et menace

Au siège de l’Union Internationale des Télécommunications, un organisme des Nations-Unies, à Genève, des ingénieurs chinois mandatés par leur gouvernement ont présenté en septembre 2019, devant les délégués de quarante pays un nouvel Internet censé remplacer l’architecture du Web actuel. L’IUT est l’organisme chargé d’émettre les normes internationales en matière de télécom. Une nouvelle réunion a eu lieu en février dernier. L’enjeu : l’Internet de demain.

A sa création, Internet avait laissé de coté les Etats, même l’Etat américain. Le Web appartient à tout le monde et à personne. Chacun essaie de s’immiscer dans l’internet du futur, sachant le pouvoir et l’argent seront là.

Un cahier des charges sur mesure

Les ingénieurs réunis à Genève venaient tous de Huaweï, le géant chinois accusé par les Américains d’être un peu trop lié au Parti communiste chinois. Leur initiative s’appelle « New IP », « nouveau protocole Internet ». Le protocole est ce qui régit l’élaboration et le transport des données. La thèse chinoise est simple : l’ancien protocole a atteint ses limites, la technologie permet plus et mieux, nous allons le faire.

Les délégués dépêchés par les gouvernements à Genève étaient d’autant plus intéressés que la nouvelle architecture, qui permet plus de trafic, donne aux Etats une place qu’ils n’ont pas dans l’Internet actuel. Avec une architecture descendante, l’Etat peut contrôler Internet. C’est la logique chinoise, qui plait à beaucoup et représente une menace pour les citoyens qui veulent garder internet libre du contrôle des Etats.

Total contrôle

En Chine, opérateurs télécoms, hébergeurs, entreprises privées collaborent avec les autorités. On peut contrôler l’accès aux contenus en ligne, les plateformes, toutes les connexions d’un appareil à un réseau, remonter l’historique des connexions. Si on ajoute à cette capacité de surveillance celle qui s’opère sur la voie publique et la mise en place du « crédit social personnel », le contrôle du pouvoir sur les individus est total.

A l’IUT, Huaweï dirige un groupe de discussion sur la technologie de réseau qu’il serait idéalement souhaitable de mettre en place d’ici 2030, un peu comme la définition du cahier des charges d’un appel d’offres. Ce n’est donc pas un hasard si leur « New IP » correspond déjà aux critères demandés.

Européens et Américains en désordre

Les Démocraties libérales -Etats-Unis, Europe, Royaume-Uni ne sont pas opposés à ce que les Etats prennent une part plus grande dans la gestion des protocoles internet. Les entreprises, comme les GAFAs, y règnent plus que les Etats. Elles souhaitent adapter le système actuel pour faire une plus grande place aux systèmes de régulation nationaux. Actuellement, il n’existe aucune instance de régulation.

Les Chinois, eux, ont un projet radicalement différent. Ils proposent un système centralisé du réseau, à l’inverse de l’architecture actuelle, qui n’a pas de centre et n’est pas pyramidal. Ils sont soutenus par l’Iran, la Russie ou l’Arabie saoudite, qui, chez eux, recourent à tous les moyens, y compris la coupure, pour contrôler Internet et la vie quotidienne de ses utilisateurs.

La proposition chinoise est forte : nous allons construire un nouveau système, les pays qui le voudront s’y rallieront. Beaucoup le feront, car cela donnera à chaque gouvernement un système de surveillance extraordinaire. Et aux Chinois le rôle des gardiens des gardiens.

A cette dimension politique, les Chinois ajoutent une véritable amélioration technologique en termes de rapidité et de puissance. Les transferts seront plus fiables et plus rapides, ce qui est fondamental pour la téléchirurgie, la fabrication 3D, l’exploitation des données par l’intelligence artificielle.

Rendez-vous en novembre, en Inde

La prochaine conférence de l’IUT sur le nouvel internet aura lieu en Inde en novembre. D’ici là, les manœuvres seront intenses. D’autant que les ingénieurs chinois font savoir que les phases de test de leur « NewIP » commenceront dés l’année prochaine. De quoi attirer bien des pays.

L’ambition chinoise est affichée : contrôler le cyberespace mondial, offrir à ceux qui le souhaitent la possibilité d’acquérir leur « souveraineté numérique », c’est-à-dire contrôler leur opposition. Eux-mêmes restant contrôlés par les Chinois.

Tout l’enjeu est de trouver un moyen d’accroitre à la fois la capacité des réseaux, la sécurité des données, la transparence des acteurs publics et privés, et de trouver un consensus au moins entre Européens et Américains sur le sujet.

Les Américains comptent sur les Gafas pour résister aux Chinois. La voie des Européens est celle du droit. Il y a de fortes chances que les Européens, qui n’ont hélas, aucun des géants de l’internet, mais qui représentent un marché essentiel, jouent un rôle fondamental dans l’édiction de normes. Surtout si les Américains, selon la doctrine Trump, continuent à pourfendre le multilatéralisme et se désengagent des organisations internationales, alors que la Chine y développe une politique de prise de pouvoir méthodique.

Modèle libre ou autocratique

Le point le plus positif reste que, malgré la puissance technologique chinoise, les fondements d’internet- construction en réseaux, absence de contrôle, inventivité, open source- correspondent à un modèle plus libertaire qu’autocratique. Il y a une sorte de contradiction fondamentale à penser un internet pyramidal. Mais rien n’est impossible à ceux qui veulent la concentration des pouvoirs et des technologies.

Diplomatie, économie, technologie, commerce, la bataille mondiale pour le contrôle d’internet a commencé. C’est aussi une bataille pour la démocratie. Elle n’est pas gagnée d’avance. C’est peut-être la bataille du siècle.

Auteur/Autrice

  • Alain Stéphane a posé ses valises en Allemagne à la suite d'un coup de foudre. Aujourd'hui, il travaille comme rédacteur dans un journal local en Saxe et est correspond du site Lesfrancais.press

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