Quand le pétrole devient gratuit !

Quand le pétrole devient gratuit !

Le 20 avril dernier, un baril de pétrole West Texas Intermediate (WTI) à livrer en mai avait un prix négatif, -37 dollars, ce qui signifiait que les vendeurs devaient payer les acheteurs. Le 27 avril, les prix de juin ont également chuté de plus d’un quart, mais sont restés positifs, à un peu plus de 12 dollars le baril. Dans une proportion moindre, le prix de pétrole échangé à Londres a également baissé et a perdu près des deux tiers de sa valeur depuis le 31 décembre 2019. Cette chute est la conséquence d’une réduction sans précédent de la consommation, -30 % en quelques semaines, et d’une guerre des prix entre les deux premiers exportateurs, la Russie et l’Arabie Saoudite.

Baisse des cours temporaires ?

Cette baisse des cours est-elle temporaire et donc amenée à disparaître avec le reflux espéré du covid-19 ou est-elle durable en raison de changements profonds au sein de l’économie mondiale ? À la fin des années 40, deux économistes du développement, Raúl Prebisch et Sir Hans Singer, estimaient que sur le long terme le prix des matières premières chuterait en phase avec celui des produits manufacturés. Leur thèse était fondée sur le fait qu’avec le temps, les ménages consommeraient plus de services et moins de biens manufacturés lourds. Le taux de renouvellement de ces produits aurait tendance à diminuer. Les produits industriels sont de plus en plus légers et incorporent moins d’énergie et de matières premières. L’intensité énergétique qui correspond à la quantité d’énergie finale utilisée dans l’économie une année donnée pour produire une unité de PIB s’améliore d’année en année. Elle a ainsi baissé de plus de 30 % en France entre 1980 et 2018. Le prix de l’énergie est également orienté à la baisse avec la multiplication des sources dites renouvelables et par le développement du pétrole ainsi que du gaz de schiste.

Des nouveaux producteurs et des nouveaux consommateurs

Les années 1990/2010 ont été marqués par la montée en puissance des pays émergents d’Asie et en premier lieu de la Chine qui est devenue le principal acteur du marché de l’énergie et des matières premières. Elle est le premier importateur mondial de pétrole et le deuxième consommateur (14 % du total) derrière les États-Unis (19 %) qui sont autosuffisants. Corrigés de l’inflation, le prix du pétrole a retrouvé le niveau qui était le sien entre 1870 et 1970. Lors de ces 160 dernières années, le cours du baril a connu de fortes hausses temporaires liées à des évènements particuliers. La guerre civile américaine au XIXe siècle, les deux chocs pétroliers, l’essor des pays émergents durant les années 2000 ont entraîné des augmentations vives mais assez courtes. Cette évolution vaut également pour les produits de base. L’indice des prix de ces produits est élaboré depuis 1800. Avec la crise sanitaire en cours, il a retrouvé son niveau de 1860.

La reprise de l’économie devrait provoquer un rebond du prix du pétrole d’autant plus que les pays producteurs ont mis en place un accord de régulation de la production. Ce dernier prévoit une diminution historique de 20 % du pétrole mis sur le marché. Même avec une amélioration du contenu en énergie de la croissance, les besoins au sein des pays émergents et des pays en voie de développement, africains en particulier, restent importants. Le retour à la normale sur les marchés des matières premières et de l’énergie devrait intervenir en 2021 avec néanmoins un ralentissement de la croissance de longue période de la demande.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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