Quel programme pour Joe Biden ? 

Quel programme pour Joe Biden ? 

Aux États-Unis, les adversaires de Joe Biden se focalisent sur son âge en soulignant que le Président ne serait plus totalement apte pour exercer ses fonctions. Le bilan du premier mandat est pour le moment passé sous silence. Or, celui-ci peut apparaître globalement bon avec une croissance de 2,6 % en 2023, une augmentation des rémunérations, un retour rapide au plein-emploi après la crise sanitaire et une baisse du taux de pauvreté. 

Les investissements dans le secteur manufacturier ont atteint un niveau record de 2000 milliards de dollars. Cette croissance soutenue a néanmoins un prix, la progression du déficit public qui a dépassé 7 % du PIB en 2023. L’argent public dépensé pourrait déboucher sur d’importants gaspillages. La dette publique a atteint 32 000 milliards de dollars. Les pouvoirs publics ont opté pour une politique d’inspiration keynésienne. 

Joe Biden n’a remis que partiellement en cause les mesures protectionnistes décidées par son prédécesseur. Les subventions accordées aux entreprises pour investir aux États-Unis suscitent l’hostilité de leurs partenaires économiques. 

La population américaine doute du bien-fondé de la politique de Joe Biden. Une majorité estime que la situation économique s’est dégradée. La baisse du chômage, et la hausse des revenus ne sont pas portés au crédit du gouvernement. En revanche, celui-ci est considéré comme responsable de l’augmentation des prix.

Terminer le travail ou pas

Si Donald Trump appelle les électeurs à « rendre sa grandeur à l’Amérique en matière d’économie, d’éducation, et sociale » (« to make America great again economically, educationally, and socially »), la devise de Joe Biden est « nous pouvons terminer le travail ». Ce slogan vise à conforter les électeurs démocrates qui craignent une orientation plus droitière de la politique économique. Les équipes de Joe Biden veulent s’appuyer sur les syndicats afin que ces derniers puissent obtenir pour les salariés des augmentations de salaire. Elles entendent poursuivre la hausse des dépenses en faveur de l’éducation de la petite enfance. Elles souhaitent renforcer la concurrence en luttant contre les monopoles et les oligopoles afin de réduire le pouvoir des grandes entreprises. Elles appellent à poursuivre l’effort en faveur de l’investissement afin d’accélérer la transition écologique. 

Cette politique rencontre l’hostilité des dirigeants des grandes entreprises et des contribuables aisés qui craignent une augmentation de la pression fiscale. Joe Biden estime que l’élection se joue sur les classes populaires et moyennes qui sont de plus en plus séduites par le discours populiste de son concurrent. 

La poursuite de la mise en œuvre de la politique de Joe Biden suppose qu’il puisse compter sur un minimum de soutien au Congrès. Les démocrates se doivent donc de conserver la présidence et d’obtenir la majorité à la Chambre des représentants, ce qui est, en l’état des sondages, loin d’être évident. Joe Biden ne manque pas de souligner que l’application de son programme de 2019 a été freinée par les divisions au sein du Congrès et la majorité républicaine à la Chambre des Représentants depuis le début de l’année 2023. 

Joe Biden
©AFP - Biden en 2023

Des subventions aux entreprises de 2 000 milliards de dollars

Les démocrates ont dû abandonner plusieurs mesures sociales afin de sauver le plan en faveur de l’aide aux entreprises. Ils ont réussi à faire adopter trois textes législatifs sur les infrastructures, les semi-conducteurs et les technologies vertes. Ces trois textes portent. Compte tenu de leur caractère pluriannuel, ces derniers devraient, quoi qu’il arrive, surmonter les élections du mois de novembre prochain. Même en cas de défaite au Congrès des démocrates, ces textes pourraient continuer à s’appliquer d’autant plus si Joe Biden est réélu. Ce dernier ne manque pas de rappeler que ces mesures ont contribué à la baisse du chômage et à la hausse des salaires. Le Congrès a néanmoins les moyens de bloquer, en partie, leur mise en œuvre. 

Logiquement, dans les prochaines années, l’industrie des microprocesseurs doit bénéficier de 50 milliards de dollars de subventions et près de 200 milliards de dollars sont également prévus pour le financement de la recherche et le développement dans les technologies de pointe (matériaux composites, l’informatique quantique). Ces aides n’ont été qu’autorisées et non pas affectées, ce qui signifie que le Congrès a le dernier mot. 

Les Républicains tentent par tous les moyens de limiter les crédits pour ces programmes. Ils ont ainsi réduit les enveloppes annuelles destinées aux agences fédérales de recherche. La National Science Foundation n’a reçu, en 2023, que 70 % des crédits initialement prévus. L’hostilité est moins importante en matière de financement des infrastructures et d’aides aux semi-conducteurs. Faute de nouveau vote au Congrès, les crédits disponibles seront épuisés d’ici 2028. 

Les Républicains pour limiter l’ampleur du programme d’aides mettent en avant les effets d’aubaine. Ils estiment que ces mesures soutiennent des entreprises qui réalisent déjà d’importants bénéfices et qui offrent les meilleures rémunérations. Ils soulignent également le danger de la trajectoire budgétaire compte tenu de la dérive des dépenses publiques. Plusieurs membres républicains de la Chambre des représentants ont annoncé leur intention de déposer une proposition de loi abrogeant l’Inflation Reduction Act

L’administration de Joe Biden réplique en soulignant que de plus en plus de capitaux privés financent la réindustrialisation du pays. Elle justifie les aides aux secteurs de pointe au nom de la souveraineté nationale. La concurrence de la Chine est mise en avant pour rallier des élus républicains à sa cause.

Mettre en œuvre un second mandat plus social

Un second mandat plus social « Terminer le travail » signifie pour Joe Biden de mettre en œuvre le volet social de son programme de 2019. Pour cela, il aura besoin d’une majorité démocrate à la Chambre des Représentants. Joe Biden défend l’idée de la gratuité à l’école maternelle pour les enfants de trois et quatre ans et l’attribution d’aides pour la garde d’enfants. Il souhaite améliorer la couverture sociale des personnes âgées afin de faciliter l’accès aux soins. Il a proposé l’instauration d’un crédit d’impôt élargi pour les familles avec enfants et d’un congé parental. 

Janet Yellen, la secrétaire au Trésor, souligne qu’un effort accru en faveur de l’éducation augmenterait la productivité des travailleurs américains. Les investissements dans les soins et les aides aux familles augmenteraient le taux d’emploi notamment des femmes. Or, les États-Unis, malgré un solde migratoire positif, connaissent d’importantes pénuries de main-d’œuvre.

Un programme social de cent milliards par an

Le programme social de Joe Biden a l’inconvénient d’être coûteux, plus de 100 milliards de dollars par an, soit l’équivalent de 0,5 point de PIB qui se rajouterait au montant du déficit (7,5 % du PIB). Le développement des services de gardes et de soins fait craindre d’importants problèmes de recrutement et une hausse des salaires. 

Durant son premier mandat, Joe Biden s’est montré sensible aux thèses défendues par les syndicats. Il a ainsi soutenu les travailleurs de l’automobile en grève près de Détroit en septembre dernier. Il s’est prononcé en faveur d’une subordination des aides aux entreprises aux emplois créés. Pour son éventuel second mandat, Joe Biden pourrait reprendre la proposition des syndicats visant à promouvoir la négociation collective en réduisant le pouvoir des employeurs. 

Les opposants de Joe Biden craignent que les mesures suggérées par les syndicats remettent en cause la flexibilité du marché du travail qui est une source de résilience pour l’économie américaine. L’administration démocrate est accusée d’être anti-entreprises. Or, depuis quatre ans, les sociétés américaines ont réalisé des bénéfices sans précédent et ont créé un nombre important d’emplois depuis 2021. Les dirigeants d’entreprise sont surtout hostiles au programme visant à favoriser la concurrence. Les contrôles de la Federal Trade Commission (FTC) sont mal vécus. Les pouvoirs de la FTC pourraient être accrus en ce qui concerne la réglementation sur les fusions d’entreprises. Les équipes de Joe Biden réfléchissent à la création d’une banque nationale de développement, visant à faciliter le financement de la politique industrielle décidée par le Gouvernement. L’État fédéral se doterait ainsi de l’équivalent de la Caisse des Dépôts et Consignations française. Les élus républicains estiment qu’une telle mesure contribuerait à accentuer le dirigisme économique. 

Une politique commerciale protectionniste

L’administration démocrate n’a pas réellement remis en cause la politique protectionniste de Donald Trump. Les tensions commerciales avec la Chine sont restées fortes et les négociations commerciales avec l’Union européenne sur les minéraux critiques (minéraux indispensables pour la fabrication des batteries) n’ont pas avancé. La décision du Président, le 26 janvier, de suspendre les autorisations de création de nouveaux terminaux pour les exportations de gaz naturel liquéfié a été perçue comme une illustration des tendances protectionnistes des États-Unis. Cette décision aurait été prise au nom de considérations écologiques mais dans les faits elle vise à peser sur le prix de l’énergie dans le pays. 

Pour son éventuel second mandat, les Démocrates pourraient réduire les droits de douane sur les biens de consommation de base chinois, tout en les augmentant sur les produits de haute technologie. Donald Trump entend de son côté instituer une taxe de 10 % sur tous les produits importés et dénoncer certains accords commerciaux. 

L’immigration, thème de conflit majeur

Donald Trump accuse Joe Biden d’avoir remis en cause sa politique et d’être ainsi responsable de l’insécurité dans le pays. Les Républicains à la Chambre américaine des Représentants ont échoué, le mardi 6 février dernier, à inculper le ministre de Joe Biden chargé de l’immigration, Alejandro Mayorkas. Ils l’accusent d’avoir provoqué une crise migratoire à la frontière entre les États-Unis et le Mexique. «C’est l’architecte en chef de la catastrophe», a souligné Mike Johnson, le chef de la Chambre des représentants. Joe Biden s’en est pris à son prédécesseur jugeant ses positions sur l’immigration irrationnelles et indiquant que les États-Unis avaient besoin de travailleurs étrangers. Donald Trump entend faire du thème de l’immigration un des axes majeurs de sa campagne. 

Le problème du financement

Le programme de Joe Biden se chiffre en centaines de milliards de dollars. Or, le déficit actuel dépasse 7 % du PIB. Pour financer les nouvelles dépenses, Joe Biden a indiqué qu’il souhaitait augmenter les impôts des contribuables les plus aisés, en particulier ceux gagnant plus de 400 000 dollars par an. Il est également favorable au relèvement des impôts sur les entreprises. En parallèle, l’équipe démocrate se prononce pour une réduction en dix ans du déficit de 3 000 milliards de dollars soit de 0,75 % de PIB par an.  

Comme au sein de nombreux pays occidentaux, la population américaine se radicalise et apparaît de plus en plus segmentée. Joe Biden souhaite mobiliser l’aile gauche de son électorat potentiel qui pourrait être tentée par l’abstention avec le risque de perdre des électeurs modérés. 

Les enquêtes d’opinion semblent indiquer que les pertes en ligne sont plus importantes à gauche qu’au centre. Les équipes démocrates estiment que leur parti doit reconquérir les ménages modestes pour espérer l’emporter. Donald Trump, avec son programme anti-impôts, anti-immigration, anti-mondialisation, a réussi à capter des électeurs au profil disparates. Ils trouvent de larges soutiens chez les ouvriers, les cadres moyens, les descendants d’immigrés et chez les personnes aisées. 

Le défi des Démocrates est de réussir à rallier certains des électeurs séduits par le discours basique de Donald Trump, sachant qu’ils doivent tout à la fois expliquer le bilan du Président sortant et gérer les différents courants de leur parti (wokiste en particulier).

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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