Report de la présidentielle au Sénégal : le pays divisé, la communauté internationale préoccupée

Report de la présidentielle au Sénégal : le pays divisé, la communauté internationale préoccupée

L’annonce par le président Macky Sall du report de la présidentielle prévue le 25 février a plongé le Sénégal dans la crise. De nombreux candidats d’opposition dénoncent un « coup d’État constitutionnel » et comptent mener campagne. Les réactions sont divisées sur le plan national, et préoccupées sur la scène internationale.

L’annonce par le président Macky Sall, samedi 3 février, du report de la présidentielle au Sénégal prévue le 25 février a été accueillie et commentée dans la classe politique sénégalaise de façon diamétralement opposée, comme une victoire ou au contraire une violation de la démocratie. 

Le lendemain, des heurts ont éclaté dans l’après-midi à Dakar où les gendarmes sénégalais ont dispersé à coups de gaz lacrymogènes des centaines de personnes venues manifester contre le report de la présidentielle à l’appel de plusieurs candidats. Des manifestants en fuite ont par endroits jeté des pierres.

Une "victoire" de parlementaires contre le Conseil constitutionnel

En première ligne de ceux qui s’en réjouissent, se trouvent les partisans de l’opposant Karim Wade, le fils de l’ancien président Abdoulaye Wade. Il conteste sa disqualification le 20 janvier par le Conseil constitutionnel pour sa double nationalité. Ses députés du Parti démocratique sénégalais (PDS), sont à l’initiative de la création d’une commission parlementaire d’enquête accusant de corruption deux des sept juges du Conseil constitutionnel. C’est l’une des raisons invoquées par le président Macky Sall pour justifier le report du scrutin.

Réunis lors d’un rassemblement organisé par le PDS après l’annonce du report du scrutin, ceux qui se présentent comme les candidats à la présidentielle spoliés déclarent dans une déclaration commune à la presse, qu’ils « se réjouissent de l’éclatante victoire » et « lancent un appel solennel à toutes les forces démocratiques pour un renforcement continu de notre unité ».

Les élus PDS à l’Assemblée nationale ont emporté le vote pour la création de la commission d’enquête par 120 voix sur 165 notamment grâce aux soutiens des députés de la majorité présidentielle, l’Alliance pour la République. Pourtant, le candidat choisi comme dauphin par le président Macky Sall, le Premier ministre Amadou Ba, est mis en cause dans certaines accusations de corruption.

Si ce dernier n’a pas réagi à l’annonce du report, ce n’est pas le cas du ministre Secrétaire général du gouvernement sénégalais Abdou Latif Coulibaly qui a annoncé sa démission. Frère d’un des juges soupçonnés de corruption, cet ancien journaliste réputé au Sénégal a dit partir « pour pouvoir défendre mes opinions et mes convictions politiques. Cette liberté m’est indispensable en cette période ».

Dans une déclaration faite aux journalistes et publiée sur son compte Facebook, le candidat Idrissa Seck, ancien Premier ministre, prend position avec gravité face à cette situation. Il lance un « appel un solennel à tous les dirigeants, à toute la société, à tous les citoyens pour que nous comprenions quelles que soient nos divergences, notre diversité  que la priorité absolue est de garantir la paix, la sécurité et la stabilité de notre pays ».

Sénégal
Des gaz lacrymogènes sont tirés par les forces de police contre des manifestants partisans d'un candidat d'opposition à la présidentielle Daouda Ndiaye, Dakar, au Sénégal, 4 février 2024. ©AP Photo/Stefan Kleinowitz

Les candidats de l'opposition rejettent le report

Pour un grand nombre de candidats à la présidentielle, c’est le tollé immédiat après l’annonce du président.

Le candidat Khalifa Sall a des mots particulièrement durs envers Macky Sall. « En décidant unilatéralement de stopper « subitement » le processus électoral, sans aucune base légale, le président de la République vient de perpétrer un coup d’Etat constitutionnel », écrit-il dans un message sur son compte Facebook.

Et l’ex-maire de Dakar de lancer « un appel à toutes les forces vives de notre nation à faire face à cette forfaiture. Nous demandons à toutes les forces vives de dresser des barricades contre la monarchisation de notre pays. »

Au-delà des réactions sur les réseaux sociaux, plusieurs candidats à la présidentielle ont tenu à donner un point de presse conjoint le jour même de l’annonce du report qu’ils rejettent.

« Aucun texte ne donne au président le pouvoir de reporter l’élection présidentielle, ni dans la Constitution, ni dans le code électoral », dénonce Amadou Ba, représentant du candidat Bassirou Diomaye Faye, choisi par Ousmane Sonko et lui aussi détenu en prison. « Seul le Conseil constitutionnel dans des cas bien précis a le pouvoir de suspendre l’élection présidentielle », insiste-t-il. Et d’ajouter que la coalition Diomaye Faye président « engage tous ses militants à poursuivre la campagne électorale ce soir à partir de minuit comme convenu par la Constitution et les textes légaux et réglementaires. »

« Le peuple sénégalais ne mérite pas ce que le président Macky Sall a fait aujourd’hui », s’indigne le candidat du parti de l’unité et du rassemblement (PUR) Ali Mamadou Dia. Il appelle à « la mobilisation totale et générale de l’ensemble du peuple sénégalais ».

« Nous qui avons fait régulièrement toutes les étapes du processus, ce n’est pas aujourd’hui qu’il va nous demander de nous arrêter », souligne le candidat Déthié Fall qui confirme la décision commune de démarrer ensemble le lendemain leurs campagnes.

« Macky Sall vient de montrer son vrai visage » dénonce la candidate Anta Babacar Ngom. Elle fustige « un hold-up électoral » et un « coup d’État constitutionnel« .

Le candidat Thierno Alassane Sall s’adresse lui « aux forces de défense et de sécurité » : « vous n’obéissez pas à un homme, vous obéissez à une Constitution, à partir du moment où la Constitution dit que le terme du président de la République est le 2 avril, le 2 avril vous ne lui devez plus obéissance« .

Le candidat Habib Sy invite lui « les observateurs internationaux à venir constater l’état du processus électoral au Sénégal » mais aussi « la presse internationale » pour être « témoins des dérives autoritaires de Macky Sall et de son pouvoir de régression démocratique au Sénégal ».

Réactions internationales préoccupées

Sur la scène internationale, les États-Unis ont donné le ton dès le 3 février. Ils se sont déclarés « profondément préoccupés » par l’annonce du report sine die de l’élection présidentielle au Sénégal et ont pressé les autorités de fixer « rapidement et dans le calme » une nouvelle date.

« Nous exhortons tous les participants au processus électoral sénégalais à s’engager pacifiquement dans l’effort important visant à fixer rapidement une nouvelle date et les conditions d’une élection libre et équitable », affirme sur X (anciennement Twitter) le Bureau des Affaires africaines du département d’État, ajoutant que le Sénégal « a une forte tradition démocratique et de transitions pacifiques du pouvoir ».

La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) a elle aussi publié sur les réseaux sociaux samedi soir un communiqué de la même teneur.

La Cédéao « exprime son inquiétude face aux circonstances qui ont conduit au report de l’élection et appelle les autorités compétentes à favoriser les procédures afin de fixer une nouvelle date ». Elle appelle la classe politique à « donner la priorité au dialogue ».

La France a appelé dimanche 4 février le Sénégal « à lever les incertitudes autour du calendrier électoral pour que les élections puissent se tenir dans le meilleur délai possible et dans le respect des règles de la démocratie sénégalaise », selon le communiqué du ministère des Affaires étrangères. 

Stéphane Séjourné, Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, a lui-même qualifié cette situation de très préoccupante.

De même, la porte-parole de l’Union européenne Nabila Massrali a déclaré le même jour que le report sine die du scrutin ouvre une « période d’incertitude ». 

« L’Union européenne (…) appelle tous les acteurs à œuvrer, dans un climat apaisé, à la tenue d’une élection, transparente, inclusive et crédible, dans les meilleurs délais et dans le respect de l’Etat de droit, afin de préserver la longue tradition de stabilité et de démocratie au Sénégal », a-t-elle ajouté dans un communiqué. 

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