Rolling Stones : Les pierres roulent toujours

Rolling Stones : Les pierres roulent toujours

Mick Jagger a célébré ses 80 ans cet été. Keith Richards le fera au mois de décembre prochain. Ces deux artistes avec le petit jeune de la bande, Ronnie Wood (76 ans), n’entendent néanmoins pas prendre leur retraite. Ils continuent de vivre à grande vitesse en proposant, cet automne, un nouvel album « Hackney Diamonds » qui fait allusion à leur surnom « Glimmer Twins » (« les jumeaux étincelants »), aux soixante ans du groupe (les noces de diamants intervenant à 60 ans) et une nouvelle tournée.

Un empire d’un milliard de dollars

Depuis leur création, en 1962, les Rolling Stones maîtrisent à la perfection non seulement le blues et le rock mais aussi l’art du marketing. Au fil des décennies, ils ont tout à la fois réussi à se démarquer, à prendre en compte l’évolution des moyens de communication et à fidéliser leurs fans qui sont leurs meilleurs clients. À 80 ans, ils n’ont plus besoin de travailler, leur empire valant environ un milliard de dollars. Mais le plaisir de jouer, d’avoir un public et de marquer l’histoire de la musique, les motivent à demeurer actifs. 

L’art maîtrisé de la provocation

À Londres, dans le sillage des Beatles, au début des années 1960, de nombreux groupes de rock apparaissent. Les Stones issus de la rencontre entre Brian Jones, Mick Jagger et Keith Richards forment alors un groupe de blues qui interprète des classiques du blues. Ils adaptent des partitions de bluesmen américains comme Muddy Watters, le nom du groupe faisant référence à une des chansons de ce dernier, Willie Dixon, Chuck Berry ou Jimmy Reed. Pour percer et se différencier, les Stones avec leur producteur de l’époque Andrew Loog Oldham, ont l’idée de se forger un style en opposition aux Beatles en se positionnant comme des mauvais garçons. Le slogan « Laisseriez-vous votre fille épouser un Rolling Stones? » dans l’Angleterre prude d’après-guerre était tout un symbole. Les tenues sur scènes, les frasques en dehors étaient bien souvent calculées pour générer du papier et des reportages. 

Issus de la classe moyenne, les Stones sont rapidement encensés par la presse, ravie d’alimenter la rivalité avec les Beatles. Dans les faits, cette opposition était virtuelle car les deux groupes étaient proches. Ils organisaient eux-mêmes la rivalité. La coopération entre les Beatles et les Stones prend plusieurs formes. John Lennon et Paul McCartney ont ainsi cédé aux Stones, en 1963, le titre « I Wanna Be Your man ». En 1967, The Beatles invitent Mick Jagger et Keith Richards à participer aux chœurs de « All You Need Is Love ». En 1968, John Lennon participe au concert « Rock’n Roll Circus » organisé par les Stones.

Une rivalité entretenue et calculée avec les Beatles 

Jusqu’en 2023, la rivalité est entretenue. McCartney, en 2020, a ainsi déclaré que les Beatles étaient meilleurs que les Stones qui n’étaient qu’un groupe de reprises. Cette sortie ne l’empêche pas de figurer parmi les musiciens qui ont été invités sur le dernier album des Stones « Hackney Diamonds ». Le positionnement « mauvais garçons » des Stones ne les a pas empêchés, bien au contraire, de fréquenter l’aristocratie et la bourgeoisie londonienne. 

Rapidement Mick Jagger côtoie, au grand désespoir de la reine Elisabeth II, les membres de la Cour royale bien avant d’être fait « Sir ». Son père était déjà connu de cette cour en tant que professeur d’éducation physique. Si les origines sociales de Keith Richards sont plus modestes, son père n’en fut pas moins un conseiller du Premier ministre travailliste Clement Atlee. Marianne Faithfull ou Bianca Jagger, les compagnes de Mick Jagger de la fin des années 1960 et du début des années 1970, ont contribué à lui faire rencontrer de nombreux artistes et responsables politiques. Sa maîtrise des codes de la bonne société londonienne lui permet, en 1967, de participer à un débat avec des élus et des responsables religieux juste après sa libération de prison. L’arrestation des deux leaders des Stones souleva de nombreuses protestations au Royaume-Uni comme dans le reste du monde. Certains témoignages laissent à penser qu’elle était la conséquence d’une opération de manipulation de la police. Il n’en demeure pas moins que ce passage par la prison a provoqué une rupture chez les Stones qui ont, à la suite de cet épisode, décidé de maîtriser leur communication.

Une tournée aux États-Unis présentée comme celle de tous les excès

Sur le plan musical, le style évolue fortement, le groupe décidant de durcir le son comme ses paroles. Il enchaîne alors des hits comme « Gimme Shelter », « Midnight Ramblers », « Sympathy for the Devil » ou « Brown Sugar ». En 1972, les Stones, après la publication de l’album « Exile on Main Street » lancent une tournée aux États-Unis dénommée « Stones Touring Party (STP) » qui est présentée comme celle de tous les excès. Les Stones dans leurs déplacements sont accompagnés de dealers, de groupies et d’artistes comme Andy Warhol ou d’écrivains comme Truman Capote. La rumeur, fausse évidemment, veut que les autocollants “STP” distribués contenaient de la drogue. 

Jusqu’à la fin des années 1970, les concerts ont lieu avec retard et peuvent se terminer tard dans la nuit. En 1973, les Stones qui sont interdits en France du fait des démêlés de Keith Richards avec la justice, décident d’organiser un concert pour les fans français à Bruxelles. La radio RTL met alors en place des trains spéciaux pour les convoyer, contribuant à populariser l’événement. 

Les excès ont laissé place, depuis de nombreuses années, à une large reconnaissance au point qu’ils ont organisé un concert pour les 60 ans de l’ancien Président des États-Unis, Bill Clinton au Beacon Theater en 2006. Mick Jagger a également donné un concert à la Maison Blanche pour Barack Obama en 2012. 

Le sens de l’image et de la mise en scène

Au début de leur carrière, les Stones ont joué de la provocation pour se faire connaître. Mais la provocation seule ne suffit pas. À côté du son, Mick Jagger a conscience, dès 1962, de la force de l’image qui permet une large diffusion. Cela est peut-être dû à sa participation, enfant, dans les années 1950 à des émissions télévisées diffusées par la BBC consacrées à la gymnastique, émissions alors présentées par son père. Il en a conservé un goût pour le sport et pour la mise en scène. Lors des premiers concerts, Mick Jagger se distingue des autres chanteurs par ses déhanchements et par son occupation de la scène. Il est inspiré par Jerry Lee Lewis et par Chuck Berry. Plus tard, il demandera conseil à Tina Turner et à Rudolf Noureev. Sa maîtrise de la scène conduira le groupe Maroon 5 à écrire, en 2012, une chanson « Moves Like Jagger ». 

Conscients que la musique est avant tout une question d’image, Mick Jagger et ses acolytes font appel très tôt aux plus grands photographes et réalisateurs de films pour immortaliser leurs prestations. Les photographes Gered Mankowitz, Guy Webster, Tom Wright, Jean-Marie Périer, Dominique Tarlé, Annie Leibowitz, Claude Gassian et bien d’autres ont contribué à la popularité des Stones. Ils ont collaboré avec de grands réalisateurs de cinéma pour magnifier leur production. Jean-Luc Godard réalisa ainsi le film « One+One » qui retrace le processus de composition du morceau emblématique Sympathy for the devil (1968). Les Stones ont également travaillé avec David Maysles, Albert Maysles et Charlotte Zwerin pour le film “Gimme Shelter” qui retrace la tournée de 1969 et le tragique concert d’Altamont. Pour leur tournée de 1972, les Stones avaient fait appel à Robert Frank. Le film « Cocksucker Blues » ne fut jamais distribué ou diffusé en raison d’une interdiction de la part des Rolling Stones, jugeant certaines scènes choquantes. En 2006, Martin Scorcese réalise un film sur les Stones tourné à l’occasion des deux concerts donnés au Beacon Theater à New York. 

Les chansons des Stones ont été fréquemment utilisées au sein des bandes-sons de films (notamment ceux de Martin Scorcese). Les morceaux « Gimme Shelter », « Jumping Jack Flash » qui est également le nom d’un film dans lequel joue Woopy Goldberg, « Satisfaction » ou « Paint it, Black » figurent le plus fréquemment dans les bandes-sons. En 2013, le morceau « Doom and Gloom » sert de générique final au film « Die Hard : Belle journée pour mourir » avec Bruce Willis.

Offrir un spectacle, de l’« entertainment » à l’américaine

Les Stones ont le sens du concert. Ils ont créé leur réputation de « plus grand groupe de rock’n roll du monde » grâce à la maîtrise des shows qui, au fil des années, sont devenus de plus en plus travaillés. Mick Jagger a toujours été clair sur ce sujet. Il entend offrir un spectacle, de l’« entertainment » à l’américaine. À partir de 1973, les Stones ne se limitent plus aux membres originels. Ils sont accompagnés d’une bande de musiciens qui les suivent durant des décennies. Ils sont également parmi les premiers à utiliser les micros sans fil permettant à Mick Jagger et aux autres membres du groupe de se mouvoir en toute liberté sur des scènes de plus en plus grandes. 

Les Stones ont rapidement voulu écrire l’histoire de la musique en réalisant des shows qui marquent les esprits. Mick Jagger a toujours regretté de ne pas avoir participé à Woodstock. Le concert d’Altamont en Californie en 1969 devait constituer un palliatif qui s’avéra funeste. Malgré tout, cet échec n’empêcha pas le groupe de monter des concerts géants. Ils détiennent un record de spectateurs avec le concert de Rio qui rassembla en 2006 plus de 1,5 million de personnes. Les Stones ont également été le premier groupe occidental à se produire gratuitement à la Havane en 2016 devant plus d’un million de personnes. Ce concert s’est tenu juste après la visite de Barack Obama dans ce pays. 

Auparavant, les Stones ont été parmi les premiers à tourner dans les États d’Europe de l’Est après la chute du Mur de Berlin. Ils ont ainsi joué devant 100 000 personnes à Prague en 1990, en présence du Président Vaclav Havel, avec comme slogan « Les chars sont partis, les Stones sont arrivés » (« Tanks are rolling out, the Stones are rolling in »). 

En 1995, à l’occasion d’un nouveau concert, le groupe participa au financement de la réparation de l’éclairage du Château de Prague. Les Stones ont également joué en Chine en 2006 et à Dubaï en 2014. Aucun continent et peu de pays n’ont échappé à un concert des Stones.

Rolling Stones
Les Stones deviennent rapidement une marque et se dotent d’un logo qui devient l’emblème du groupe.

Un sens avéré du marketing

Les Stones deviennent rapidement une marque. Ils se dotent d’un logo qui devient l’emblème du groupe, la fameuse langue. En 1970, Mick Jagger demande à John Pasche qui est étudiant au Royal College of Art de Londres de réaliser un logo qui puisse être aussi reconnaissable que celui de Shell. Pour l’inspirer, le chanteur lui montre une image d’une déesse hindoue appelée Kali. Le côté rebelle et provocant du logo correspond bien au groupe qui l’adopte, d’autant plus qu’il fait également référence à la bouche du chanteur. Ce logo apparaît pour la première fois sur la pochette de l’album « Sticky Fingers », en 1971, qui est réalisé par Andy Warhol. Celui-ci a l’idée d’y placer une fermeture éclair qui s’ouvre. 

Les Stones utilisent tous les moyens de communication pour diffuser leur musique. Ils ont été en avance sur la vente de produits dérivés, le logo étant décliné à l’infini. Ils ont créé une boutique à Londres (RS No. 9 Carnaby) afin de vendre des vêtements et des accessoires en hommage au groupe. La boutique à Soho est plutôt positionnée haut de gamme. Sur le site du groupe, des articles à des prix plus accessibles sont proposés. Les équipes des Stones se sont toujours intéressées à la presse musicale qui des années 1960 aux années 1980 était incontournable pour la promotion des albums. Même s’il n’y a pas de lien capitalistique direct, le magazine « Rolling Stone » était proche du groupe et le demeure. 

Ce dernier détient le nombre record de « unes » de ce magazine. Pour le numéro de septembre, dans la version française, Mick Jagger et Keith Richards se partagent la couverture qui illustre un article célébrant le cinquantenaire de l’album « Goats Head Soup ». Le magazine français « Rock and Folk » longtemps dirigé par Philippe Manœuvre, un fervent admirateur du groupe, consacre également de nombreux numéros à ce dernier au fil des décennies. Dans chaque pays, le groupe a tissé des partenariats avec des radios ou avec des télévisions. En France, RTL a longtemps été un relais important du groupe. 

Le groupe a également noué des relations commerciales avec des constructeurs automobiles comme Volkswagen (une Golf fut estampillée Stones en 1995) ou Mercedes. Un « cobranding » a également été réalisé avec le PSG en 2017. Une ligne de vêtements fut ainsi siglée des deux logos. Les Stones, à cette occasion, prêtèrent leur avion à l’équipe du PSG dans le cadre d’un déplacement à Anderlecht. Pour la promotion de leurs albums et leurs tournées, depuis plus de cinquante ans, les Stones entendent marquer les esprits. Ils ont ainsi joué un concert sur un semi-remorque dans les rues de Manhattan le 1er mai 1975. Ils ont depuis utilisé une montgolfière et une vieille voiture américaine.

La création d’une communauté « stonienne » 

Les Stones ont rapidement donné naissance à la publication de disques pirates (bootlegs) diffusés en parallèle aux circuits officiels. Si ces derniers constituent un préjudice commercial indéniable, ils assurent une certaine popularité du groupe et participent à la création d’une communauté « stonienne ». Le groupe ne serait pas étranger à certaines diffusion pirates de leurs concerts. Parmi les pirates les plus connus figurent le concert de Bruxelles de 1973 (Brussels Affair). Après avoir été diffusés à travers des films au cinéma, en cassettes vidéo, en DVD, les concerts des Stones font depuis cet été l’objet d’une expérience d’immersion. 

À Paris, la société Jam Capsule en collaboration avec le groupe projette sur des écrans géants circulaires le concert de 2013 à Hyde Park. Même si Mick Jagger récuse toute nostalgie – il a ainsi refusé l’idée de toute autobiographie – il a néanmoins accepté la réalisation d’une exposition itinérante « Unzipped » retraçant les 60 ans du groupe. Les visiteurs peuvent ainsi découvrir des maquettes de scènes, les costumes portés par Mick Jagger lors de différents concerts, des albums de musique mais aussi une reproduction grandeur nature de leur premier appartement et de leur studio d’enregistrement. Cette exposition a été présentée à Londres, à Marseille, à Toronto ou à New York. 

L’argent, le nerf de la guerre

Est-ce dû aux quelques mois passés par Mick Jagger à la London Economics School ou à sa capacité à s’entourer de conseillers financiers de haut niveau ? Il n’en demeure pas moins que celui-ci a réussi, à partir des années 1970, à construire un empire qui repose évidemment sur leur succès musical mais aussi sur un savoir-faire commercial indéniable. Comme les Beatles, les Stones ont été, dans les années 1960, floués par leurs premiers producteurs et leurs maisons de disques qui avaient tendance à ne pas redistribuer les recettes et surtout à ne pas payer les impôts. Les Stones ont été ainsi contraints de s’exiler en France en 1971. Ils ont enregistré, ainsi à Villefranche, dans la villa Nellcote, l’album « Exile on Main Street ». Mick Jagger et le Prince Rupert Ludwig Ferdinand zu Loewenstein (1933/2014) qui devient le conseiller financier du groupe mettent en place une organisation indépendante des compagnies. Ils fondent ainsi leur label, « Promotone ». Ils avaient prévu que cette structure puisse accueillir les Beatles. L’éclatement de ce groupe mit un terme à la négociation de réunion économique des deux plus importants groupes de tous les temps.

Une entreprise de plus de 400 personnes, un système de sociétés holding

À partir de 1971, Les Stones deviennent ainsi maîtres de leur catalogue musical. Ils ne disposent en revanche pas de l’ensemble des droits pour les titres des années 1960 dont “Satisfaction” ou “Paint it Black”. Les Stones ont été les premiers à fixer des contrats, pour une durée déterminée, avec les majors de la musique permettant à ces dernières de diffuser leurs disques. Les majors achètent un droit de diffusion. A elles après de rentabiliser l’opération. Le dernier contrat a été signé par Universal en 2018. Il s’agit d’un contrat « 360 degrés » sur toutes les œuvres du groupe anglais et qui s’étend à l’ensemble du merchandising, des objets frappés du logo jusqu’au e-commerce. 

Les Stones sont une entreprise employant plus de 400 personnes, effectifs qui augmentent à l’occasion des tournées et des lancements d’albums. Des juristes chassent en permanence les utilisations frauduleuses des titres, des images et du logo. Avec l’appui d’Universal, la firme gère les produits dérivés. 

Pour réduire les charges fiscales, les Stones ont créé une structure aux Pays-Bas. Le recours au système de sociétés holding a été vendu par les Stones à d’autres groupes comme U2 ou AC/DC. Le montant des recettes totales du groupe demeure inconnu. Seuls les résultats des concerts sont communiqués. Ils peuvent rapporter plus de 300 millions de dollars, les Stones figurant parmi ceux qui obtiennent les montants les plus élevés. Le cachet minimum pour un concert se situe autour de 8 millions de dollars. Les publicités sont également une autre source de financement. Microsoft aurait ainsi payé 12 millions de dollars le droit d’utiliser, en 1995, “Start Me Up” pour la promotion de «Windows 95 ». Même si une coordination existe avec les détenteurs des droits des anciennes chansons (Andrew Loog Oldham en particulier), les Stones ne touchent pas de royalties sur leurs utilisations (publicité de Groupama, “She’s A Rainbow”). La coordination au niveau des droits sur les anciennes chansons a été facilitée depuis qu’Universal gère l’ensemble des titres.

Toujours conseillés par le Prince Rupert Ludwig Ferdinand zu Loewenstein, à partir de 1989, les Stones décident de changer le modèle financier des concerts. Avec l’appui de Michael Cohl, un ancien promoteur de salles de concerts, ils imposent leurs tarifs aux tenanciers de salles et à tous les intermédiaires. Jusqu’alors, les ventes de billets étaient réalisées par chaque salle qui rémunérait ensuite les artistes. Depuis la tournée « Steel Wheels » en 1989, les ventes de billets sont centralisées. L’organisateur s’engage à verser dès le départ un certain montant fixe aux Stones, à charge pour lui de rentabiliser l’opération.

Le recours au parrainage se multiplie. Budweiser (bières), Volkswagen, des compagnies d’assurances et bien d’autres participent au financement. Les Stones touchent par ailleurs des royalties sur toutes les ventes de produits dérivés. Ce système contribue à internationaliser l’organisation des concerts. Sur l’ensemble de leur carrière, les Stones ont rapporté en concerts plus de deux milliards de dollars de recettes. Les Stones, par leur notoriété, ont toujours été un groupe cher. Les prix des places figurent toujours parmi les plus élevés. Ils servent d’étalon pour les autres artistes. En contrepartie, les prestations sont de haute tenue. Les prix élevés des places ont donné lieu à des contestations de la part des fans et de la presse. Cette cherté fut l’une des raisons qui incita Mick Jagger, en 1969, à accepter de manière précipitée l’organisation d’un concert gratuit à Altamont. 

Le goût de l’innovation

Les Stones ont tout le long de leur carrière accepté une prise de risque maîtrisée. Ils ont su s’inspirer et créer des modes au niveau musical. Après le blues, ils ont côtoyé l’univers du hard rock (« Street Fighting Man », « Jumpin’ Jack Flash »), l’univers du reggae et du disco. Ils se sont même essayés au psychédélisme avec l’album de 1967 « Satanic Majestic Tour ». Dès le départ, ils ont su moderniser le son des chansons de blues en y intégrant des sonorités différentes. Ce fut le rôle de Brian Jones jusqu’à son départ, en 1969, du groupe. Brian Jones, qui s’intéressait aux instruments de musique non-européens ou rares, est à l’origine du riff de sitar sur le morceau “Paint it Black”. Ce morceau reprend également la logique rythmique du Boléro de Maurice Ravel. 

Le morceau “Miss You” de l’album « Some Girls » est un hit disco tout en intégrant un phrasé qui pourrait être assimilé à du rap. Des chansons des albums « Black and Blue » ou « Dirty work » comprennent des morceaux de reggae. 

Sur le plan de la technologie, les Stones ont été un des premiers groupes en 1995 à créer sur CD-Rom un jeu vidéo à leur gloire. Ils ont accepté que leur musique serve de bande-son à l’un des jeux vidéo « Call of Duty ». En matière de diffusion en ligne de leurs morceaux et de leurs vidéos, les Stones n’ont pas hésité à la différence d’autres groupes comme AC/DC qui ont été plus réticents. Avec leur équipe, les Stones diffusent en permanence des informations sur les réseaux que ce soit sur YouTube, Facebook, X (Twitter), Instagram et Tik Tok. Chaque jour ou presque des photos ou des vidéos sont communiquées. 

The show must go on 

Plus de soixante ans après leur naissance, les Stones ont opté pour une stratégie de communication décalée pour lancer leur nouvel album, « Hackney Diamonds ». Ils ont publié une publicité pour la société « Hackney Diamonds Glass Repair » dans un exemplaire du journal local gratuit Hackney Gazette du 23 août 2023 à Londres. Ce journal papier est diffusé au sein d’un quartier modeste de la capitale britannique. « Hackney Diamonds » est le terme d’argot local désignant les morceaux de verre brisés trouvés au bord de la route. La publicité comportait trois références à des chansons des Rolling Stones (« Satisfaction », « Shattered » et « Gimme Shelter ») et le fameux logo remplaçait le point d’un « i ». La publicité annonçait la mise en place d’un service de réparation des vitres et invitait les lecteurs à se rendre sur un site qui était géré par Universal Music, la société qui gère le portefeuille musical des Stones.

La publicité annonçait la mise en place d’un service de réparation des vitres

Quelques jours plus tard, le groupe a fait projeter des photos du logo sur des monuments ou à proximité de monuments connus de toutes et de tous, notamment la Tour Eiffel à Paris et la porte de Brandebourg à Berlin. La campagne de teasing a donné les résultats escomptés. L’information dans le journal local à Londres a envahi les réseaux sociaux grâce à la sollicitude des millions de fans. 

De nombreux médias ont effectué des articles et des reportages sur le futur disque et la technique de communication des Stones. Celle-ci a eu pour conséquence de rendre célèbre le journal de Hackney qui a dû faire des tirages supplémentaires de son édition du 23 août. 

Pour présenter leur nouvel album, Mick Jagger, Keith Richards et Ron Wood ont tenu une conférence de presse animée par l’humoriste américain Jimmy Fallon, depuis le Hackney Empire, une vieille salle de concerts à l’ancienne située dans le quartier londonien de Hackney, conférence de presse diffusée mondialement sur YouTube. 

Afin de faire durer le plaisir et d’organiser savamment le teasing, seul un morceau « Angry » a été rendu public, l’ensemble de l’album le sera le 20 octobre prochain. Cet album est le premier constitué de morceaux originaux à être réalisé depuis « Bigger Bang » qui est paru en 2005, l’album « Blue and Lonesome » de 2016 ne comprenant que des reprises de blues. 

Les Stones, du blues et du travail

La nonchalance stonienne cache un goût forcené pour le travail. Tant pour la composition que pour la préparation des concerts, les membres du groupe passent des heures en studio. Les morceaux sont des compositions qui peuvent mettre des années à émerger. Mick Jagger a dès les débuts du groupe décidé de tout enregistrer. Avec l’aide du directeur musical, Chuck Leavel, il est capable de faire ressurgir une boucle de son, vieille de plusieurs décennies, pour en faire un morceau d’aujourd’hui. Si, pour le mythe, Keith Richards aurait inventé « Satisfaction » en dormant, la vérité serait plus prosaïque. Ils auraient durant plusieurs jours travaillé autour de ce riff qui est devenu légendaire. 

Les Stones, c’est une entreprise musicale qui ne se limite pas aux membres fondateurs. Depuis la fin des années 1960, le groupe est complété par des musiciens de talents. Ont participé ou participent ainsi à l’aventure Nicky Hopkins, Billy Preston, Chuck Leavel, Lisa Fisher, Bobby Keys, Bernard Fowler, Daryl Jones, Steeve Jordan et bien d’autres. La mort ou le départ de musiciens donnent lieu à leur remplacement. Il en fut ainsi avec Brian Jones remplacé par Mick Taylor puis par Ronnie Wood. Le bassiste d’origine Bill Wyman a été remplacé de son côté par Daryl Jones, le pianiste Ian Steward, surnommé le 6e membre des Stones, par Chuck Leavel. 

Les Stones sont une entreprise qui, au-delà de leur production, promeuvent d’autres artistes. Ils disposent en 1968 d’un studio d’enregistrement mobile, ils ont permis à Led Zeppelin ou à Deep Purple d’enregistrer plusieurs albums. Ils ont également contribué à populariser le Reggae de Bob Marley. Les fondateurs des Stones, de manière discrète, n’oublient pas non plus de rendre hommage aux bluesmen qui sont à l’origine de leur musique. Ils aident financièrement les plus vieux d’entre eux. Ils ont enregistré en 2016 un album de reprises de morceaux de blues. En 2020, ils ont financé, au profit des bluesmen américains et de leurs familles, la publication d’une compilation « Confessin’ the Blues » où apparaissent dans leur version d’origine les morceaux joués par les Stones. 

À Datford, Mick Jagger qui en est originaire, finance un centre culturel et musical installé dans son ancien lycée. Il permet chaque année à 450 enfants de pouvoir apprendre un instrument pour un coût raisonnable. La ville consciente de la renommée internationale du groupe a décidé de renommer treize de ses rues du nom de chansons des Rolling Stones. Il est ainsi possible de passer de Satisfaction Street à Angie Mews en passant par Ruby Tuesday Drive. Une plaque a été, par ailleurs, installée sur le quai N°2 de la gare sur lequel se sont rencontrés Mick et Keith. Au mois d’août 2023, des statues représentant les deux leaders des Stones ont été installées en centre-ville.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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